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DE 1850 A 1848
LOJIS-PHILIPPE ET LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER
PORTRAITS, SCENES DE CONSPIRATIONS, FAITS 1NCONNIS
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LOUIS-PHILIPPE ET LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER
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AVANT-PROPOS.
Quand on a t'ait des fautes, ce n'est pas en les cachant qu'on en évite de nouvelles, puisqu'alors il n'en reste rieu, pas même une leçon; osons-donc déclarer que rien n'était perdu le 24 février au soir, même après l'évacuation des Tuileries, l'occupation complète de Paris et la proclamation de la République, si le parti de l'ordre eût été ce qu'il pou- vait être, se fût raidi en un mur d'airain contre l'avalanche populaire. Une protestation sévère des principaux soutiens de la monarchie, un chef militaire qui eût rallié les troupes profondément blessées de; l'insolence de leurs prétendus vainqueurs, il n'en fallait pas davantage pour déterminer en province un mouvement qui eût fait perdre la tète aux aventuriers de la capitale. C'était la guerre civile, dira-t-on; laissons leur nom aux choses; c'était une révolte combattue, c'était le pays arraché à une invasion dégradante, c'était le principe d'autorité sauvé d'un naufrage sans exemple et peut-être sans remède. La plèbe démocratique, sur la foi de ses Fontanaroses, peut déclarer magistralement que tous les hommes d'ordre sont des lâches, et qu'il a suffi de la pré- sence des républicains pour les réduire en poudre, c'est une vieille histoire. En juin 1848, il y avait dix lois plus de
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révoltés; rien ne leur manquait, ni organisation, ni chefs, ni moyens matériels; le général Cavaignac leur avait laisse prendre l'avantage du terrain et plus d'une demi-journée d'avance dans leurs travaux d'attaque; Paris était dégarni de troupes, le pouvoir sans force morale; jamais plus for- midables chances n'avaient été laissées à une sédition, et cependant ce parti de l'ordre, si lâche, ;i pris l'insurrection à la gorge et l'a étranglée! C'est qu'alors il savait sa puis- sance, ne doutait pas de son droit et avait le sentiment pro- fond des périls de la société. En février, tout cela lui man- quait. Depuis quinze ans, il n'avait pas fait l'épreuve de ses forces; une agression inattendue lui ota le sang-froid. L'élec- tion étant infiniment restreinte, il ne pouvait connaître d'une manière positive l'opinion du pays, et il se figura que la France, républicaniséc sourdement, acclamerait comme fait une forme déjà passée dans ses idées. Ensuite et surtout il n'avait aucune conscience du mal horrible qui se préparait. D'autres grands motifs ont aidé a la démoralisation des masses: il faut citer dans le nombre la défection de Al. de La- martine, qui prit la République et l'offrit à la bourgeoisie, laquelle voyant la chose moins en elle-même que dans l'homme qui la patronait, ne s'en effraya pas trop; et puis, pour la province, cette idée que le triomphe de la révolte provenait d'un irrésistible fait de guerre, d'une bataille géante dans Paris.
Toutes ces causes sont connues de quelque! honnn. - d'Etat, mais la population les ignore; or, il est bon que cha- cun sache à quoi s'en tenir à cet égard. Je me figure qu'un 24 février ne saurait se renouveler, par cette excellente rai- son qu'il a déjà eu lieu, mais ce n'e-l pas a dire que tout danger soit passé, et qu'il ne Faille pas veiller soigneusement et sans relâche. La principale condition de succès contre
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une nouvelle tentative des démagogues, c'est d'avoir con- fiance et de conserver le calme, et. puis, bien entendu, de prendre le fusil et d'aller au combat. Personne ne doit s'en rapporter au voisin; car si le voisin en fait autant, l'en- nemi reste maître de la position. Pour les départements, un devoir sacré, c'est de répondre aux gens qui leur apporte- raient un nouveau gouvernement tout fait: je ne vous con- nais pas; c'est de former, sans une minute de retard, des bataillons libérateurs, d'accourir sur la capitale, et d'y cerner la révolution. A ce prix, tout succès des anarchistes est impossible, car ils ne sont forts que de l'insouciance ou de l'indécision des hommes d'ordre.
Certains logiciens diront qu'on a beau faire; à leur sens, les révolutions sont le produit d'idées arrivées à leur der- nière puissance, et qui, comme la vapeur, font sauter le vase qui les contient. Cette comparaison offre une assez grande justesse; seulement ce n'est pas celle qu'on y trouve. Oui, une révolution c'est une chaudière qui éclate, et le résultat des deux faits est absolument le même : des débris et du carnage; mais l'éclat d'un vase est-il autre chose qu'un accident? 11 existait une paille dans le métal ou dans la cons- titution; le conducteur de la mécanique industrielle ou gou- vernementale a eu un moment de négligence, la machine se brise, qu'est-ce que cela prouve en principe? Rien, si ce n'est qu'avec un peu plus de soin dans le choix des ma- tériaux, et de surveillance de la part des gardiens, on évi- tait la catastrophe. L'idée n'était donc pour rien là-de- dans; les plus admirables pièces de mécanique, comme les plus admirables institutions, éclatent uniquement à cause du petit défaut ou de l'imprudence dont nous venons de parler.
Prouvons une vérité: c'est que la plupart de nos révolu-
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lions ne signifient rien; nos barricades ne répondent pas plus à la volonté nationale que le lacet turc, ou le poison russe. Des événements arrivent, imprévus, stupéfiants; les premiers venus en profitent; la plèbe de Paris, amoureuse de tout changement, crie bravo ! Les provinces étourdies se laissent l'aire, et le Moniteur proclame qu'un grand acte de souveraineté nationale vient d'être accompli. Entre un roi de France ainsi écrasé sous des barricades, et un sultan étranglé, ou un czar empoisonné, nous demandons où i ■( la différence ? Elle n'existe certainement qu'en ceci: c'est qu'en Turquie ou en Russie, les conjurés égorgent eux- mêmes le pouvoir dont ils veulent hériter, et que chez nous, les héritiers du pouvoir ne sont jamais ceux qui l'ont abattu.
La révolution de Thermidor qui noya les terroristes dans la mer de sang qu'ils avaient creusée, est la seule que l.i France tout entière ait applaudie.
Celle qui fut la plus nationale perte la date de 89, non pas qu'elle n'ait produit que des bienfaits; ainsi elle ôla au peuple ouvrier des garanties de sécurité et de bien-être qu'il n'a pas retrouvées depuis; mais elle mit l'influence dans sa vraie place, le milieu de la nation.
Le Directoire, le Consulat, l'Empire sont lesconséqoef» deThermidor.Si L'Empire alla trop loin comme compression, c'est que 93 était allé trop loin comme licence; vous if em- pêcherez pas plus la balle de rebondir qu'une réaction de dépasser le but. Le Comité de salut public nous avait mis aux mœurs du brouct noir, le Directoire nous mit aux mu'iirs d'Aspasic. Robespierre inondait les camps de jour- naux démoralisateurs, Napoléon brida l'action de la pn là même où elle n'avait qu'un mince éanger.
Sans répondre à un besoin absolu, l'Empire répondit fran- chement à un besoin de circonstance.
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Qu'est-ce que la révolution de Mars 1814 et celle de Juin 1815? Des caprices. Le peuple adorait Napoléon, là bourgeoisie l'aimait, le vieux parti aristocratique le respec- tait; or, pendant qu'il se débat comme un lion dans sa pro- digieuse campagne de France, les portes de Paris sont ou- vertes aux alliés. Vient Waterloo, sublime épreuve que la France regarde tremblante d'anxiété; tous les vœux suivent l'bomme de génie pendant le combat; il succombe, et le vide l'enveloppe aussitôt. Quelques mois après, dans son exil, on ne retrouve que trois ou quatre soldats, seuls cour- tisans de son malheur.
La France, dit-on, était lasse; les sacrifices se renou- velaient chaque jour. De quoi était-on las; d'impôts? l'em- pereur faisait payer les guerres par l'ennemi. De livrer des soldats? est-ce qu'on regarde à cela dans notre pays? Ce qu'il faut dire, c'est que Napoléon ne représentait pas entièrement l'esprit du grand milieu bourgeois, lequel aime la guerre en son temps, mais tient avant tout à la paix : or, il crut Napoléon l'homme de la guerre éternelle. Toutefois cet homme dans les dernières luttes, représentait l'indé- pendance nationale, et tout le monde se sentait le strict de- voir d'empêcher sa chute, qui était l'invasion du pays. Pas un qui n'eût cette pensée, pas un qui ne rougît à l'idée du sol natal envahi, et cependant Napoléon est abandonné et l'Europe s'écroule sur lui et sur la France.
La nation est-elle coupable de cette chute ! A-t-elle brisé froidement cet homme qui l'avait faite grande et glorieuse entre toutes? Hélas! dès le lendemain elle le pleurait. Quel est donc le mystère de ce drame immortel? Une sorte de mystère d'amour; une amante qui, dans un moment de brouille, délaisse son amant qui meurt, léguant le désespoir à celle qui Ta abandonné
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Sous la Restauration il y eut une paix noble et digne. Ces Bourbons, rentrés en France à la suite d'alliés qui ne pen- saient pas à eux, savaient dans tous les cas tenir une assez belle attitude devant l'Europe. En outre, ils aimaient les arts, les grandeurs, l'apparat, choses dont le peuple de France a besoin. On ne saurait dire qu'ils fussent méchants et eussent des instincts de tyrannie, leurs mœurs étaient douces, leurs habitudes généreuses et loyales; le dernier roi de la branche aînée, vieillard grave, pieux, chevaleresque, ne pouvait que l'aire honneur à un trône par les qualités du cœur. Un jour on le renversa pane que, soucieux à l'excès de son pouvoir, croyant qu'on voulaitle rabaisser ou l'usur- per, il prit des mesures pour le garantir. Paris, marteau brutal, toujours prêt à se lever pour écraser toute puissance, légitime ou non, frappa le vieux roi qui s'abattit sur le coup.
Sans doute, des ouvriers imprimeurs, des journalistes, des entrepreneurs d'agitation, allaient souffrir des ordon- nances; mais cette France réelle, composée des gens de cam- pagne et des ouvriers laborieux des villes, tous ceux qui se reposaient après avoir travaillé ou travaillaient pour pouvoir se reposer, les hommes calmes, sérieux, qui voient la vie ailleurs que dans des articles de journaux, ceux-là ne de- mandaient pas la chute d'une famille, incarnation séculaire de l'esprit national.
11 y avait certainement, en dehors du prétexte des ordon- nances, cette idée fausse que les alliés étaient Y6QU8 en France à l'appel des Bourbons, et puis, cette vérité, que le pouvoir aux mains de la classe aristocratique, ne répondail plus à l'idée de 89; mais la révolution s'est-elle faite à eaux' et au nom de ces deux motifs? Non pas. G'esi Paris, tou- jours Paiis, qui, au signal donné par n'importe qui, contre n'importe quoi, descend dans la rue, s'enivre de poudre, de
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sang, et ne s'arrête que lorsque tout est bouleversé, pavés, positions et pouvoir.
Ce rôle de Paris, abattant pour abattre, puis imposant son ouvrage à la France et frappant chaque Etat d'un con- tre-coup terrible, est la chose la plus lamentable de l'his- toire contemporaine. Une des questions les plus importantes, sans contredit, est de savoir si les braves gens de la capitale, si toute la province et si toute l'Europe, seront encore long-temps à la merci de ce grand artiste en bouleverse- ments qu'on appelle le faubourien de Paris,
En fait, la chute de l'Empire fut un caprice, la chute de la Restauration une colère. Ces deux actes ne résultent pas d'une détermination arrêtée du pays.
Ce que l'on nomme les grands historiens ne manquent pas d'affirmer la logique de tout événement d'importance; avec la meilleure volonté du monde, il nous est impossible de trouver trace de cette logique dans beaucoup de faits écla- tants. Chose fâcheuse, sans doute, pour l'humanité, mais qui confirme ce mot célèbre : L'homme s'agite et Dieu le mène; mot prononcé par Fénélon, et non par Bossuet, comme le veut M. Louis Blanc.
Cependant sur l'ancienne dynastie, s'en élève une nou- velle, de la même famille, mais d'antécédents, d'allures et de goûts différents. Celle-là représente aussi exactement que possible cette portion du pays, appelée la Bourgeoisie, et qu'on peut appeler le véritable cœur du peuple, puisque tou- tes les activités d'en haut y descendent et que toutes les ca- pacités d'en bas y montent. L'idée française s'est transfor- mée naturellement au cours des choses, l'esprit de guerre a fait place à l'esprit de paix; le développement des forces industrielles doit remplacer l'élan militaire. Tout ce qui peut tendre à ce résultat, imposé par l'état des choses de
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l'Europe, trouve son exemple et son encouragement dans la nouvelle royauté, renommée pour se? habitudes de paix, d'ordre et de sagesse. Les bohèmes de la société, les gens qui vivent des lamentations qu'ils poussent sur le peuple, les apôtres de la populace, toute la race des exploiteurs de l'igno- rance par le mensonge, comprennent que leur règne est me- nacé; ils se houlent contre le nouveau pouvoir, le secouent dans des attaques furieuses et incessantes; aux luttes ouver- tes, font succéder le guet-apens, l'assassinat, et un beau jour, écrasés sous la force nationale qui leur résiste, cèdent et disparaissent dans une ombre impénétrable. Pendant douze ans leur existence ne se révèle que par des tentatives si impuissantes qu'elles font pitié; ils sont morts, bien morts.
Libre de cet obstacle où s'embarrassaient ses pas, la so- ciété se met aussitôt à l'œuvre. Nos fabriques s'ouvrent, nos magasins s'emplissent, nos produits s'éparpillent, inon- dent l'Europe, couvrent le globe. Un accroissement géné- ral de bien-être se révèle, au point que, dans les classes les plus pauvres, les idées de fortune germent de toutes parts et poussent les paresseux aux plus criminels espoirs, (lai, qu'on ne s'y trompe pas, le socialisme n'est pas le résultat de la misère du peuple, mais de son commencement de for- tune. Sans les tentateurs qui sont venus les troubler dans la période de juillet, les ouvriers entraient avec résolution dans la carrière d'avantages nouveaux que leur offrait le travail; tous devaient comprendre que leur véritable et seule émancipation était là; mais grâces aux mauvais génies, des désirs extravagants ont chassé les justes espérances, et des hommes à qui la société offrait de gagner une part de ses richesses se sont mis en tète de tout prendre de force.
Voilà donc cette royauté de juillet assise au milieu des ri- chesses nationales. Elle est renommée dans le monde par sa
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sagesse et reliée au pays par les mœurs, les instincts et les intérêts. Le roi n'est que le premier bourgeois d'un grand peuple de bourgeoisie. Une famille de princes l'entoure; jeunes hommes, simples, braves, intelligents, dont la no- blesse se tire plus de leur personne que de leur rang. Les partis fatigués d'efforts inutiles, sont tombés à ses pieds, dé- sespérés et impuissants. Sa force paraît inébranlable
Tout à coup, un orage survient; quelques bataillons de garde nationale crient : Vive la réforme ! ... Le vertige la sai- sit, elle s'abandonne, elle tombe, pensant que la bourgeoi- sie tout entière la repousse; laissant croire qu'une poignée de républicains l'a foudroyée.
Tout effort de logique pour donner une cause raisonna- ble à ce fait ne peut être qu'impuissant. Nous avons dit que l'événement de 1 81 4 fut un caprice, celui de 1 830 une colère; quant à celui de 1848, nous ne trouvons qu'un mot pour l'exprimer : c'est une escroquerie politique.
Maintenant, lelecteur voudra bien se rappeler qu'en ju- geant les révolutionnaires de l'ancien gouvernement avec une franchise qui ira jusqu'au sans-gène, je ne prétends pas absolument frapper sur la République actuelle. Les ré- publicains ne formaient certainement qu'une faction avant février, et je me réserve, non pas d'insulter, mais de traiter comme ils le méritent, ces hommes qui, pendant dix-huit ans, ont secoué sur la société des rêves odieux et des excita- tions de sang. J'entends montrer aussi, et clairement, com- ment la Republique actuelle s'est formée, combien elle avait de partisans, quels hommes l'ont couvée et fait éclore artificiellement dans une tempête; tout cela est mon droit,
et je trouve bon d'en user. Que l'événement de février nie paraisse la plus inconcevable chose du monde, c'estla vérité; que les détails dans lesquels j'entrerai donnent la même opi- nion au public, c'est probable, mais ce n'est pas ma faute. 11 y a dans tout cela une grande instruction, et puis le mo- ment est venu de dire la vérité. L'engouement ou la frayeur qu'inspiraient les démagogues est passé, grâce au ciel, et l'on peut s'exprimer avec franchise sans être taxé d'incivisme.
Ainsi j'accepte légalement la forme de gouvernement ac- tuel. On n'est pas tenu, que je sache, d'aimer follement une personne fort laide qui vous a été imposée en mariage, et je n'aimerai probablement pas de sitôt la République comme une maîtresse, mais je suis prêt, si elle le mérite, à la res- pecter comme une femme légitime.
HISTOIRE
DES
SOCIÉTÉS SECRÈTES.
CHAPITRE PREMIER.
Dénombrement des corps d'émeute. — Les Étudiants. — Les Impuissants. — Les Bohèmes. — Le Peuple souverain. — Les Gobe-Mouches. — Les Mécon- tents. — Les Réfugiés politiques. — Les Bandits.
Quoi qu'on fasse, il est bien certain qu'aucun régime n'évitera chez nous la plaie des conspirations. Une foule de gens trouveront toujours que le pire gouvernement est celui qu'ils ont, et comme ces gens pensent que tous nos bouleversements ont été l'ouvrage des associations secrètes, ils tiennent ces dernières en singulière estime.
Par le fait, aucune de nos révolutions, depuis soixante ans, n'est l'œuvre des eouspirateurs. Quoique cela puisse paraître un blasphème aux grognards de l'émeute, nous le tenons pour parfaitement exact.
11 n'y a qu'un faiseur de révolutions en France, c'est le Paris sophiste, paresseux, désappointé, vagabond ou mal- faiteur, que nous connaissons tous. Ce Paris ne bouleverse pas l'Etat à jour dit et d'après un plan arrêté; chaque fois qu'il prend l'initiative, il est écrasé à l'instant : témoins
juin 1832, mai 1839 et trois ou quatre autres échaufïburée.v Pour qu'il réussisse, il faut que la bourgeoisie, par colère, comme en 1830; par inconséquence, comme en 1848, mette l'insurrection en train. 11 faut surtout que la providence permette de ces faits hors de toute prévision, parmi lesquels nous citerons une royauté qui cède à la révolte sans combat.
Ce Paris, toujours aux aguets pour prendre au cou et étouffer le pouvoir existant, se décompose de la manière suivante :
1°. Ce qu'on appelle la Jeunesse des écoles. 11 est de genre chez ces messieurs d'être contre le gouvernement; beaucoup se trouveraient ridicules d'avoir les idées du bourgeois leur voisin, qui défend ce qui existe, parce que cela le tait vivre honorablement, lui et sa famille; et puis la jeunesse des écoles aime le bruit, les coups, les événements; elle tient à ce qu'on la reconnaisse à ces traits. 11 y a les traditions du Pré aux Clercs qu'il ne faut pas laisser perdre. C'est de L'enfantillage dont on pourrait s'amuser, si ces jeunes gens, tant par leur courage réel que par le prestige qu'on leur accorde; et par leur facilité à devenir les instruments des factieux, ne pe- saient d'un certain poids dans les révolutions. Tout le monde sait aussi bien que nous que la majorité des étudiants s'oc- cupe de droit et de médecine, et non de réformer l'Etat à coups de fusil; aussi, en parlant de la jeunesse des écoles, ne désignons-nous que cette catégorie dont les journaux anarchiques se font les flatteurs intéressés; c'est-à-dire celle qui parade au club, aux manifestations el ailleurs. Les étu- diants qui étudient n'ont jamais eu l'honneur d'attirer l'at- tention des i < dacteurs patriotes.
La jeunesse des écoles a des chefs dont les uns n'ont jamais pris d'inscriptions, dont les autres n'en prennent pins de- puis dix ans; Ifs vont habituellement au bureau des feuilles
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pures, et y reçoivent des instructions. Quand Un mot d'or- dre leur est donné, ils accourent à tous les estaminets du quartier Latin, où ils sont sûrs de trouver leurs pareils, une partie de la jeunesse ayant encore l'habitude des cours; les meneurs s'y rendent aussi, et y répandent quelques billets qui, passés de main en main, avertissent à la fois les fidèles et ceux que la curiosité peut tenter.
Des bruits ont couru sur la translation des écoles hors de Paris. Le gouvernement qui prendra cette mesure, aura coupé un des bras du Briarée insurrectionnel. Les Anglais, qui ont le génie de l'ordre et de la tranquillité, ont depuis long-temps privé leur capitale de ces hôtes intéressants, mais dangereux.
En dehors de la question politique, le gouvernement peut se dire que les étudiants, uniquement occupés de parties de billard et de manœuvres révolutionnaires, seraient beau- coup mieux en province, sous l'œil de leurs parents, qu'à Paris; et que ceux dont les goûts d'étude sont sérieux, n'ont aucunement besoin des distractions par trop nombreuses de la capitale.
2°. Les Impuissants. Dans cette classe se groupent les avocats sans cause, les médecins sans consultations, les écri- vains sans lecteurs, les marchands sans clients, et la troupe de gens naïfs qui aspirent au rôle d'hommes d'Etat, après avoir étudié la politique dans les journaux. Parmi eux, les uns sont capables, mais trouvent intolérable d'arriver comme la foule, par la persévérance; les autres sont incapables, et ce sont les plus ardents et les plus ambitieux. Tous sont im- puissants, parce que le premier signe de la force c'est la pa- tience.
Les organisateurs de sociétés secrètes et de plans insur- rectionnels, sortent de cette catégorie.
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3°. Les Bohèmes. 11 existe un peu partout, mais surtout chez nous, une classe de fantaisistes ayant horreur de la vie ordinaire. Le commun des hommes comprend que le repos et le plaisir ne sont que la récompense du travail et de la privation; eux prétendent ne jamais travailler et toujours jouir. Comme cette vie, pour être pratiquée convenable- ment, demanderait de grosses rentes qu'ils n'ont pas, ils constituent une sorte de truanderie dont les estaminets bor- gnes sont la cour des miracles. La province compte peu de ces individus, ils s'abattent tous dans la capitale, seul en- droit où la fainéantise florissc, où certains cynismes puis- sent vivre à l'aise. Dire dans quels lieux se recrute cette variété sociale, n'est pas facile; elle sort de n'importe où, du haut comme du bas. Quelques-uns de ses membres restent à peu près honnêtes, quand ils n'ont pas trop de tempéra- ment, ou que le courage du crime leur manque; la plupart ont des instincts de débauches qu'ils satisfont à tout prix.
C'est dans cette catégorie qu'on trouve les chefsde sec- tions, les commandants de barricades, etc.
4°. Le Peuple souverain, c'est-à-dire l'ouvrier natif de Paris, ou qui s'est acclimaté dans les faubourgs. Brave par nature, batailleur par habitude, il se fait une bonne fortune de tout tumulte politique. Un sentiment d'indépendance hautaine, accru par la lecture des rapsodies révolutionnai n ■-. le rend impatient du frein et de l'autorité. 11 n'aime jamais le maître qui l'emploie et il déteste généralement tous les autres; les riches, les dignitaires et les gouvernements en général, il se croit tenu de les exécrer. Nous n'inventons pas ce portrait; M. Louis Blanc qui s'y connaît, déclare que le peuple est brutal et grossier; or, il n'est qu'un peuple pour M. Louis Blanc et ses pareils, c'est celui de Paris. L'orga- nisateur du travail ajoute, il est Mai, que ce n'est pas la
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faute du peuple s'il est fait ainsi; d'accord. C'est même chose étonnante qu'avec ses deux importantes qualités, le courage et l'intelligence, le peuple parisien soit si déplorablement policé. Les socialistes francs font l'aveu du fait; s'ils vou- laient ouvrir les yeux et pousser la franchise jusqu'au bout, ils avoueraient bien aussi quels sont ceux qui en sont cause.
Inutile de dire que cet ouvrier, grossier, brutal, querel- leur, ignorant du devoir, en révolte contre le droit, n'est pas en majorité dans Paris; nous ne parlons que de ce peuple flagorné par les patriotes, de celui qu'on appelle et qui se croit très sérieusement, à lui seul, le maître des destinées du pays.
5°. Les Gobe-Mouches. C'est une classe plus à plaindre qu'à maudire. Braves gens au fond, ils entendent dire par M. Bareste, faiseur d'almanachs, que le pays est affreuse- ment gouverné; par M. Proudhon, détestable mystificateur, que la propriété c'est le vol; par M. Ledru-Rollin, million- naire couvert de créanciers, que les patriotes meurent de faim. Chaque jour, des journaux niais ou effrontés leur font voir blanc en pleins ténèbres, ou noir quand le jour luit; le même mensonge, retourné de cent mille manières, la même duperie dorée de cent mille façons, sont débités, offerts cha- quematindu ton le plus naturel, de l'airde couviclionle plus rassurant; les amis sont là qui appuyent; on ne lit pas les feuilles de l'opinion contraire, parce qu'elles sont vendues; si l'on reçoit un bon conseil, il provient d'un repu ou d'un mouchard; et ainsi, une masse de braves gens, nés pour tout autre chose, se livrent aux sottises et aux aventures, trou- blant misérablement leur vie et celle des autres. Gobe-mou- ches politiques et socialistes, depuis le garde national, qui l'ait venir la République au cri de : Vive la réforme! jus-
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qu'au citoyen naïf qui croit à la queuo phalanstérienne, il y en a de toutes les classes et de toutes les couleurs.
Ces pauvres gens servent de levier, de plastron ou d'ap- point aux révolutions.
6°. Les Mécontents. Cette classe se compose d'éléments in- finis, mais nous voulons surtout parler des personnes que la chute des anciens gouvernements a froissées dans leurs intérêts ou leurs affections; tous, tant s'en faut, ne sont pas acquis à l'insurrection comme soldats, mais le plus grand nombre y pousse, les uns par des excitations, les autres par des subventions. Ces derniers, hommes d'expérience rou- tines aux pratiques de la vie politique, sont trop habiles pour laisser trace de leurs manœuvres. Instructions, conseils, secours, tout cela n'arrive que de troisième ou de quatrième main. La police seule a suivi dans l'ombre la trainée d'éeus et d'intrigues; mais encore ne parvient-elle que rarement à prendre les machinateurs sur le fait.
Ces hommes, qui sont les mimi Lépreux de la politique, sont incontestablement le plus graml danger de tout gou- vernement.
7°. Les Réfugiés politiques. C'est un virus que la France s'est inoculé et qui ajoute à sa maladie révolutionnaire. Les fauteurs de révoltes de toutes les nations, recueillis efaez nous pttr une générosité imprudente, y poussent constam- ment aux insurrections, sachant bien qu'un bouleuTsciuent en France sert de signal aux autres pays.
8°. Les Bandits. L'état social d'un pays, en temps de ré- volution, est toujours fort trouble et les malfaiteurs j font bonne pèche. Quelque! braves gens, au milieu d'un 2i lé- vrier, mettent bien sur des écriteaux : Mort aux voleurs ! mais cela n'empêche pas que tous les châles de Mmr la du- chesse d'Orléans ne soient iiloutés, que les \ins en touueuux
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de M. Duchàtel ne soient mis à sec, et qu'on ne vende dans toute l'Europe les bijoux de la famille d'Orléans. Que cer- tains émeu tiers cherchent alors à faire la police, c'est vrai; rendons justice à qui de droit; mais la belle avance ! 11 fau- drait connaître la ligure et les allures des gens qui vivent du bien d'autrui; or, tous ces messieurs se transforment en chauds patriotes quand la bataille est dans Paris. Ils arri- vent, giberne aux flancs, fusil au poignet, et demandent la garde des bons endroits, se réservant de choisir l'heure pour agir.
Un fait certain c'est que les voleurs ne sont pas ceux qui profitent le moins des insurrections. De très dignes gens, après avoir crié : Vive la Charte ! vive la Réforme! et s'être exposés au feu, s'en retournent tout fiers et vont mourir de faim dans leurs galetas; de très parfaits coquins, au con- traire^ la révolution faite, se trouvent avoir de quoi vivre honorablement de leurs rentes.
On peut donc tenir pour assuré que le corps des voleurs, liions et assassins de Paris, ne manque jamais de faire partie des héros quand vient une révolution.
Ces huit subdivisions nous paraissent former l'ensemble des forces habituelles de l'insurrection; il arrive assez sou- vent qu'elles donnent ensemble; toutefois cela est soumis aux circonstances; quand l'affaire semble mal engagée, cer- tains corps s'abstiennent, mais quand elle a bonne tournure et que le succès se dessine, il faut s'attendre à trouver toute l'armée en ligne.
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CHAPITRE H.
La Charbonneric.
Ce qui fient d'être dit est pour faire connaître, à ceux qui l'ignorent, le cercle où s'agite l'esprit de révolution; mais Ions les révolutionnaires n'entrent pas dans les conspira- tions) beaucoup s'en abstiennent, soit par crainte, soit par la méfiance que leur inspire le procédé. J'ai dit ailleurs, en effet, qu'avec des sociétés secrètes on t'ait des émeutes, ja- mais des révolutions.
Je n'ai pas l'amour-propre de la science rétrospective. Systématiser l'histoire, comme le font certains écrivains, me parait du temps perdu. Vous relierez des idée- tant qu'il vous plaira, mais des faits, non; il- adhèrent les ans au\ autres, ils ne s'engrènent jamais parfaitement.
C'est pour dire que je ne remonterai pas au-delà de Juillet, afin de saisir la filière plus ou moins vraie de nos conspira- lions modernes.
Il eslcependant une association secrète delà Restauration, qu'il faut reprendre, parce qu'elle s'enebaine assez étroite- ment à celles dont j'ai à parler; cette association c'esl la Charbonneric.
Vers 1820, deux jeunes gens, qui ne sont arrivés sur la scène politique qu'en 1848, MM. Bâchez et Pottard, en compagnie de deux autres, MM. Bazard et Joubert, avaient formé, sous ce nom: les Amis de ! I Vérité, une loge maçon- nique, dont le but était tout politique. Qu'on n'aille pas croire pourtant qu'il s'agissait de socialisme, et même de
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république; Dieu merci, ces choses ne troublaient alors au- cune cervelle. La première idée des jeunes gens était de jouer un rôle, puis de faire pièce au gouvernement des Bourbons. Ce qu'on eut mis en place de ces derniers, en admettant leur renversement, n'était rien moins que défini. Seulement, comme le prestige napoléonien était dans toute sa force, il y a lieu de croire que Napoléon II serait monté sur le trône.
Les Amis de la Vérité étaient des fils de bon rgeois, étudiants, commis, artistes, etc. Dans les réunions on déclamait beau- coup, surtout contre cette famille des Bourbons soi-disant ramenés dans les fourgons de l'ennemi. Le gouvernement ne tenait pas alors à démontrer que rien, dans l'intention des alliés, ne se rapportait à une restauration bourbon- nienne; que l'Autriche avait grand intérêt à conserver le trône au fils d'une arehi-duchessc de sa maison; que l'em- pereur Alexandre, admirateur de Napoléon, ne voulait pas dépouiller son (ils; que la Prusse n'avait aucun parti pris, si ce n'est de rendre Napoléon impuissant; et qu'enfin la réinstallation des Bourbons fut le résultat d'une grande et soudaine idée d'ordre public, comme l'élévation de Louis Bonaparte au 10 décembre. Toutes ces choses n'étant pas dites, les parleurs et les écrivains avaient beau jeu pour dénaturer les faits et agaceries passions populaires.
La carrière des Amis de la Vérité n'eut rien d'illustre, et un seul fait la signala. La Cbambrc disculaitla loi électorale; à ce sujet les journaux de l'opposition ayant déclaré que la Charte était violée, — les violations de constitutions étaient déjà à la mode, — il y eut des rumeurs dans les esprits et dans la rue; la Loge crut l'occasion favorable pour apparaître. Elle convoqua ses membres et se porta sur la Cbambrc qu'elle investit, en marquant son passage par de longues
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clatiieurs OÙ dominait le cri do : Vive In Charte! Avertis de ce qui se passait, des jeunes prens de famille jugèrent à pro- pos de se taire les champions de Tordre; ils accoururent armés de cannes et engagèrent une rixe avec les emeutiers. Dans la bagarre, un jeune homme, nommé Lallemand, hit tué.
Cette mort fut un sujet de récriminations d'une fécon- dité incroyable; les journaux, la tribune de la Chambre, tous les gens qui font métier d'accuser le pouvoir, tous ceux qui les croient sur parole, formèrent un concert de criail- leries dont l'écho se prolongea jusqu'aux dernières années de la Restauration. Le malheureux Lallemand, tué daine façon regrettable, sans doute, mais tué dans une émeute, devint l'un des fantômes que l'opposition de quinze ans évoqua sans relâche aux yeux des Bourbons.
L'échaull'ouree des Amie de la Vérité mit lin à leur exis- tence.
Nous verrons, dans le cours de ce récit, que toute.» les sociétés secrètes finissent ainsi après une tentative infruc- tueuse; comme les guêpes, elles lancent leur dard et elles meurent. Néanmoins les conspirateurs ne disparaissent j is, seulement la conspi ration fait place à une nouvelle.
A la suite du procès des Amis de la ^~érilé, MM. Dugied et Joubert, forcés de s'expatrier, se sauvèrent à Naples. Selon l'usage des réfugiés, ils ne manquèrent pas de se faire instruments de troubles dans le pays qui leur offrait l'h pilalite. La ville était en insurrection, ils se mêlèrent aux révoltés, sans pouvoir empêcher le desastre des descendants de Mazaniello. Ne sachant trop où porter leurs pas, ils ren- trèrent dans leur pays, qu'Us voulaient, d'ailleurs, gratifier d'un présent de leur façon.
M. Dugied, pendant BOB séjour a Naples, avait ete initié
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aux mystères de la Charbonnerie; il conçut le projet d'ap- pliquer cette association à la France. S'en étant ouvert à M. Flottard, ils décidèrent de réaliser immédiatement l'idée, en prenant pour premier noyau, les débris des Amis de la Vérité. Toutefois quelques modifications, reconnues indis- pensables, furent apportées au procédé italien.
L'organisation fut arrêtée sur les bases suivantes :
Une haute vente, des ventes centrales et des ventes parti- culières.
La haute vente était le comité de direction et d'action; tout y aboutissait et s'y subordonnait par les combinaisons que l'on va voir.
Deux membres du comité ayant trouvé un adepte, s'en- tendaient avec lui, sans faire connaître leur qualité, et con- venaient de former une vente; l'adepte était nommé prési- dent; l'un des initiateurs censeur, l'autre député; le rôle de ce dernier était de correspondre avec le comité, en laissant croire au président que ce comité n'était qu'un degré supé- rieur de l'association; le censeur avait pour mission d'ins- pecter les travaux de la vente. Ces trois chefs s'adjoignaient dix-sept recrues, ce qui portait le nombre des membres à vingt. Ainsi constitué, ce groupe s'appelait une vente cen- trale. Deux de ses membres faisant au-dessous d'eux ce qui avait été fait au-dessus, formaient une vente particulière de premier ordre, laquelle répétant le même travail formait une vente particulière ordinaire et étendait indéfiniment les mailles du réseau.
Nous pensons que cet exposé se comprend; si l'on veut mieux le sentir, on n'a qu'à se figurer un arbre renversé: le tronc est la haute vente, les branches sont les ventes cen- trales, les rameaux les ventes particulières de premier ordre, les bourgeons les ventes particulières ordinaires.
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Une organisation identique, mais sons dos nomsdifTérents, fut adaptée à l'armée. La haute vente fut appelée légion; les ventes centrales, cohortes; les ventes particulières de premier
ordre, centuries; les ventes particulières ordinaires, mani- pules.
Ce double mode eut pour motif de donner le change à la police, en lui faisant croire à une association distincte dans l'armée. Par une antre mesure de prudence, il lut défendu, sous peine de mort, à un charbonnier de s'affilier à une autre vente; on voulait empêcher qu'en pénétrant dans un certain nombre de groupes, un membre ne vint à découvrir et à livrer les secrets delà société. Toutes les ventes devaient se mouvoir sous une impulsion unique, mais sans deviner, ou au moins sans apercevoir cet accord.
La Charbonnerie n'avait pas de principes arrêtés; elle acceptait toutes les opinions, pourvu qu'elles tendissent à la chute de la famille restaurée. Pourtant deuv noyaux impor- tants se détachaient de son ensemble. Les impérialistes et les libéraux. Les premiers se définissent d'eux-mêmes; les seconds étaient des fils de bourgeois, animés contre le gou- vernement, par patriotisme de jeunesse, jalousie de classe, et ne songeant au fond qu'à s'emparer de l'influence des vieilles familles, ou des vieilles illustrations. Ouant à ce que l'on appelle le peuple, il ne comptait pas dans la Charbonne- rie; l'illustre rôle qui lui a été attribué de nos jours n'était pas encore inventé.
Le but était fort vague pour quelques-uns, mais le moyen était fort clair pour tous : il s'agissait de couvrir la France d'une multitude de petits corps d'armée qui, au signal d'une direction invisible, feraient irruption de toutes parts, et écraseraient les Bourbons. Afin d'être toujours en mesure d'agir, chaque membre, après avoir prêté serment d'obeis-
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sance absolue, était tenu de se munir d'un fusil et de cin^ quante cartouches.
Dans l'origine, la haute vente ne compta que sept mem- bres : MM. Dugied, Flottard, Bazard, Bûchez, Joubert, Car- riol, Limperani. Nous retrouvons là les quatre chefs des Amis de la vérité. 11 nous arrivera souvent de voir ainsi les conspirateurs se transvaser d'une société dans une autre. Il est bien certain qu'aux époques agitées, tout le désordre • roule sur deux ou trois douzaines de boute- en-train incorri- gibles dont tout gouvernement sait maintenant qu'il doit se défaire promptement, s'il ne veut pas qu'ils se défassent de lui.
La Charbonnerie ayant pris de l'extension, la haute vente crut utile de s'adjoindre des notabilités, tant pour ajouter à sa consistance que pour diminuer, sans doute, sa respon- sabilité, en rétendant à des personnages connus. Le général Lafayette, qui conserva jusqu'à la vieillesse une démangeai- son de popularité toute juvénile, accepta l'offre qu'on lui fit de se fourvoyer dans la conspiration; son exemple fut suivi par plusieurs députés.
Sur la fin de 1821, la société récapitula ses forces; à Pa- ris, les jeunes gens des écoles, chaudement travaillés, étaient en tn'1? en grand nombre dans les ventes; il en éiait de même des commis et en général de la jeunesse bourgeoise. En province, les principales villes avaient leur bataillon d'affi- liés : on en comptait à Bordeaux, Nantes, Toulouse, La Ro- chelle, Poitiers, Colmar, Béfort,etc. Le zèle était très grand; des inspecteurs qui visitèrent les ventes, les trouvèrent presque toutes années et ne demandant que le signal.
Le comité décida l'attaque; mais la majorité ayant ré- solu de débuter par un coup de main, Paris fut destitué de l'initiative; on accorda à Béfort le dangereux honneur
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d'engager l'affaire. Une quarantaine de jeunes gens résolus y furent expédiés, avec mission d'organiser le soulèvement et d'en prendre le commandement.
Afin d'être prêt à tout événement, et selon l'usage clas- sique, on procéda à la nomination d'un gouvernement pro- visoire : MM. de Lafayette, de Corcellespère, Yoyez-d'Ar- genson, Dupont de l'Eure et Kœcklin, furent gratifiés d'avance des dépouilles du pouvoir. Que d'ours dont on s'est ainsi partagé la peau et qui n'ont jamais été abattus!
11 faut rendre au général Lafayette la justice que, dans ces tristes affaires, où on savait l'engager en flattant son amour-propre, il y allait en toute sincérité; aussi, quand on l'avertit que sa présence à Béfort était nécessaire pour don- ner le branle, il déclara qu'il allait se mettre en roule. Par une circonstance assez singulière cependant, il n'arriva aux environs de Béfort qu'au moment où ses complices s'en échappaient à la débandade, après une échaullburée pitoya- ble. Jugeant que tout effort pour rallier cette armée en dé- route serait inutile, il rebroussa chemin et retourna à Paris. Le gouvernement ne crut pas devoir lui demander compte de sa conduite.
M. Flottard avait été nommé chef du mouvement de l'ouest qui devait éclater à La Rochelle; de ce coté, comme dans l'est, tout se réduisit à une tentative qui, connue d'avance, fut étouffée à l'instant.
Heureux si ce double échec eut fait ouvrir les yeux aux jeunes chefs de la haute vente et surtout aux barbes grises étourdiment engagés dans leur folie. La police avait un œil dans tous les mouvements, une oreille dans tous les con- ciliabules, et chaque essai de soulèvement menait à une ca- tastrophe. De vieux carbonari racontent avec complaisance que le secret des ventes était admirablement gardé, quoique
confié à un grand nombre de jeunes gens; nous voudrions leur laisser cette illusion, mais malheureusement l'histoire nous apprend qu'à Béfort, le commandant Toustain était si bien prévenu qu'il put détruire l'insurrection à sa naissance; qu'à Nantes, le général Despinois suivait pas à pas les dé- marches du général Berton, et que le complot du colonel Caron, tendant à délivrer le général, fut déjoué avant l'exé- cution. Le Moniteur constate en outre que M. Grandmenil qui, depuis, fonda la Réforme et fut l'un des personnages de Février, passa pour l'un des dénonciateurs de la conspira- tion et fut traité d'agent provocateur en pleine chambre des Députés.
M. Flottard, décidé à prendre sa revanche, accourt à Paris, déclare l'échec de La Rochelle sans importance et an- nonce qu'il se charge d'enlever l'ouest, si on veut lui don- ner un personnage considérable. Le général Lafayette, un peu honteux d'être arrivé trop tard la première fois, s'of- fre de nouveau, promettant cette fois d'être plus exact. On lui tint compte de son dévouement, mais on ne l'accepta pas. M. Flottard dut se contenter du colonel Dentzel, notabilité un peu douteuse, mais qui suffisait pour le résultat. En effet, cette seconde expédition n'en arriva même pas à un com- mencement d'exécution : le grain de sable qui empêcha Cromwell de bouleverser le monde se retrouva à La Ro- chelle pour empêcher la conflagration de la France : lors de la première affaire, le général Berton en s'enfuyant n'avait paseu le temps d'emporter son uniforme; il fallut rallercher- cher à Saumur, et cela prit cinq jours. Pendant ce temps la police arrêtait, d'une part, les chefs de la Charbonnerie civile, de l'autre, quatre sous-oi'fieicrs, chefs de la conspira- tion militaire. Apprenant cette nouvelle, M. Flottard s'en- fuyait au plus vite, laissant au glaive de la justice le général
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Berton, le colonel Caron et les quatre sergents de La Ro- chelle.
Le couteau qui abattait- la tête de ces malheureuses vic- times, tuait en même temps la Charbonneric.
CHAPITRE 111.
Projet d'expulsion des Députés et des Pairs. — Le parti Républicain — Son Effectif. — Plagiat de '.'3. — Tableau des Sociétés populaires après Juillet.
Bien des gens, persuadés que la chute de tout gouverne- ment est duo à une conspiration, ne doutent pas encore au- jourd'hui que la Gharbonnerie n'ait abattu la Restauration. La vérité est, qu'à l'exception de quelques vieux entêtés, comme M. Charles Teste cl M. Buonarotti, la Gharbonnerie n'avait plus de fidèles, ef ne comptait pins comme conspira- tion depuis 1822; elle n'a donc été pour rien dans la révo- lution de Juillet.
On ne dira pas que d'autres sociétés secrètes ont préparé et livré la bataille des trois jours; car, entre le carbotmriswr et 1830, on n'aperçoit que la société Aide-loi, dirigée par MM. Guizot, de Broglie, etc., qu'on n'accusera pas d'être des conspirateurs, et qui d'ailleurs travaillaient au grand jour, à un but connu de tout le monde: l'organisation des élections.
La révolution de Juillet eut pour cause médiate, une forte pression de la bourgeoisie contre l'influence aristocratique; comme cause occasionnelle, les ordonnances. Le conflit d'inlluenees entre la tradition des vieilles familles et le libé- ralisme des classes moyennes, était certainement difficile à
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apaiser, mais le gouvernement des Bourbons aînés était assez honorable pour que les choses se menassent loin, si le coup d'Etat du 23 juillet ne les eût arrêtées court. La bour- geoisie ne jeta pas ses ouvriers dans la rue pour faire une révolution, attendu que tout lendemain de révolution est ténébreux pour les intérêts; elle n'entendait point abattre la royauté, car elle la reconnaissait pour le pivot obligé de notre mécanisme social; mais une fois engagée elle se piqua au jeu, et son cri de vive la Charte devint l'équivalent de : A bas les Bourbons !
D'ailleurs, le branle donné, il n'y eut pas moyen d'arrê- ter le mouvement; les jeunes gens enthousiasmés par lebruit des guerres de l'Empire, avaient pris les armes; les impuis- sants s'agitaient, les bohèmes, les mécontents étaient sur pied, et tout cela secondant d'une part, les ouvriers, dits faubouriens, toujours prêts à batailler, de l'autre les ou- vriers paisibles que les patrons avaient jetés sur le pavé, il s'en suivit un bouleversement dont la bourgeoisie était cause, qu'elle commença, qu'elle dirigea, et dont elle ne voulait point.
Ces choses paraissent étranges et déconcertent, mais ainsi va le monde. Ce n'est pas le seul exemple que nous ayons de cette incroyable logique.
On s'étonnera peut-être, quelques-uns s'indigneront même que nous ne fassions pas entrer les républicains en ligne de compte dans la bataille des trois jours; patience! nous arrivons aux républicains; mais il ne faut pas mettre en scène des héros qui n'ont pas encore pris leur costume. Tout le monde sait que la République formait alors un parti insignifiant à Paris et imperceptible en province; de sorte que son influence n'a pu être remarquable dans l'affaire. Pourtant il est juste de reconnaître que le peu de républi-
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cains qui existait alors, s'est donné beaucoup de mouve- ment, pendant, et surtout après la bataille.
La modestie des démocrates n'est pas proverbiale; dés le lendemain de Juillet ils se figuraient volontiers que la ré- volution était leur ouvrage et que la France devait leur être livrée. Par une lettre de la Tribune nous apprenons que MM. Flocon et L'héritier de l'Ain , étaient de ceux qui avaient cette idée; ils ne purent alors la faire admettre, et c'est seulement dix-huit ans après que M. Flocon, par une chance beaucoup plus heureuse, fut élevé au gouvernement. M. L'héritier de l'Ain n'est jamais monté si haut; nous ne l'avons vu figurer, dans les fastes de notre République, qu'à la commmission des vainqueurs de Février et dans le co- mité socialiste qui nous a valu le 13 juin.
Nous citons ces deux personnages, parce que la lettre sus- dite de la Tribune les met en relief; mais nous devons dire que le noyau déjeunes gens, qui s'est retrouvé depuis dans toutes les émeutes républicaines, apparaît dès cette époque et va poursuivre avec fureur l'envahissement du pouvoir.
Son premier acte fut de demander l'expulsion des Dé- putés et la convocation des assemblées primaires. Les chefs de la bourgeoisie, devenus les maîtres, sentaient bien eux- mêmes que leurs pouvoirs, comme mandataires, avaient be- soin d'une nouvelle consécration; mais, effrayés à juste titre du fait terrible qu'ils avaient sous les yeux, ils songèrent avant tout à ne pas compromettre l'autorité, en la laissant tomber dans la rue. Ils étaient encore, après tout, la repré- sentation la plus exacte du pays. Pourquoi donc, en effet, le coup de main de Paris eût-il abroge absolument le man- dat que leur avait donne une élection régulière?
C'était là leur logique qui naturellement n'était pas du goûldes gens qui avaient leurs raisons pour exiger la va-
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cance du pouvoir. Une attaque violente avait bouleversé Paris et détruit le pouvoir, la seule chose à faire c'était de livrer l'Etat à ceux qui, par la surprise d'une ville, avaient fait crouler le gouvernement; tel était, tel fut et tel sera le commode raisonnement de tous les révolutionnaires. Par bonheur, cette manière de voir commence à tomber dans un grand discrédit.
Voyant que les députés gardaient le pouvoir, la petite fraction républicaine, composée d'hommes audacieux et en- treprenants, ameuta les combattants encore échauffés, et les poussa, le 4 août, sur la Chambre. Le but était de sommer les Représentants de déguerpir, et, en cas de refus, de les met- tre à la porte. Trois à quatre mille individus, de toute es- pèce, se laissèrent entraîner, sciemment ou non, dans cette entreprise. MM. Flocon, L'héritier et d'autres meneurs, pé- nétrèrent dans la salle des Pas-Perdus, interpellèrent suc- cessivement plusieurs députés qui passaient et les mirent en demeure de résilier un mandat qui n'était plus qu'une usur- pation. On tint assez peu de compte de leurs paroles; néan- moins on nelaissa pasdans la salle que d'éprouver un certain trouble, car la foule du dehors pouvait se porter à des excès. MM. Benjamin Constant et Lafayette survinrent et réussi- rent à calmer les gens de bonne foi; quant aux autres, ils entrèrent en fureur, taxèrent le peuple de lâcheté s'il ne chassait pas les députés ce jour-là même, et se répandirent aux alentours, en criant : Aux armes !
Cela ne produisit aucun effet; la population de Paris se bat à certaines heures imprévues, qu'un appel aux armes ne devance ni ne recule d'un instant.
La tentative avortée contre la chambre des Députés, devait se renouveler le lendemain contre la chambre des Pairs; le mot fut donné pour se réunir à l'Hôtel-de-Ville et de là se
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porter sur le Luxembourg, en poussant des clameurs pour soulever le peuple. On devait envahir le palais, le saccager et en cadenasser la porte. Les meneurs furent exacts au rendez-vous; malheureusement ils s'y trouvèrent seuls, ce qui coupa court à l'entreprise.
Alors on essaya d'une pression morale; les républicains se vantèrent de revenir à la Chambre, dans un court délai, avec une pétition formidablement apostillée. Tout fut n\\> en œuvre pour remplir cette promesse : paroles, démarches, sollicitations. Le résultat fut un chiffre de 5,000 signatures à peine.
On sait qu'après une révolution presque tous les parti- sans de la cause victorieuse s'abattent sur la capitale; non par avidité, grand Dieu! mais pour servir le nouvel état de choses, dans des emplois de préfets, de receveurs, de .juges de paix, etc.; on peut donc prétendre que le parti républicain, dans sa presque totalité, se trouvait à Paris e! avait signé la pétition; ainsi c'était un noyau de cinq mille individus qui prétendaient imposer leurs volontés à trente-deux millions de Français !
Quand nous disons cinq miile, nous ne défalquons pas les opinions de rencontre, si nombreuses en de pareils mo- ments; nous ne mettons de coté ni les gobe-mouches, ni les bohèmes, ni les bandits, dont la signature tenait sur la pétition tout autant de place qu'une autre. Il nous serait donc permis de faire une notable réduction sur ee chiffre de cinq mille républicains, que nous admettons à celte époque.
Ces deux tentatives, contre les Chambres, omrent la sé- rie des complots républicains. Ce fui une affaire de fougue, et, en quelque chose, deremou révolutionnaire. Le carac- tère particulier des descendants de 99 ne s'j détache pas,
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mais nous allons le voir aussitôt se révéler pur une imita- tion servile de l'époque modèle.
II faut le reconnaître, l'imagination, pas plus que la mo- destie, n'est le fort des républicains. Si nous reportons nos regards au commencement de la République actuelle, nous voyons que M. Marrast a voulu en faire une oligarchie vé- nitienne dont il espérait devenir le doge; et M. Ledru- Rollin une démocratie populaire dont il aurait été le Danton. Ce dernier, maître du terrain, s'est empressé de remettre au jour, en les copiant avec un grand soin, les divers pro- cédés, usages et coutumes de la première période révolu- tionnaire. Hormis l'échafaud, qui a été heureusement ou- blié sous son hangar d, il n'est pas de friperie jacobine qu'on n'ait retapée, de sotte invention qu'on n'ait reproduite; depuis le bonnet rouge, qui signifie beaucoup trop, jusqu'à l'arbre de liberté qui ne signifie rien. On n'a pas oublié de rétablir par décret, non seulement la liberté et l'égalité, ce qui se conçoit, mais la fraternité, ce qui est un peu moins compréhensible, attendu qu'un sentiment ne nous paraît nullement décrétable ni obligatoire. Dans les désignations de partis, même imitation : le fameux mot d'aristocrate, al- longé en arntocruche par les sans-culottes de 93, s'est rac- courci en arhlo par nos communistes de 1848. Les chefs, les beaux esprits de la troupe, n'ont même pas su se créer un nom. Le mot de Montagnard était là qui pourrissait dans le sang; ils l'ont ramassé, sans s'imaginer (pie toute grande chose est originale et demande une dénomination propre, que du reste elle trouve d'elle-même.
Après Juillet, cette impuissance qui se décore du nom de tradition, apparaît dans le rétablissement des clubs et so- ciétés populaires, sur le modèle exact de la première reNO- lulion.
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L'étudiant Sambuc forme une association qui s'appelle : Société de l'Ordre cl du Progrès; intitulé tort plaisant, car chaque membre était tenu d'avoir un fusil et des cartou- ches, choses qui n'ont pas grand rapport avec l'ordre, cl la société, toute composée d'étudiants, entendait diriger l'Etat d'après les idées du quartier Latin, ce qui ne serait pas po- sitivement un progrès.
Les étudiants ont bientôt une seconde société, dirigée par MM. Marc Dufraissc et Eugène L'héritier, dont le but était l'abolition de l'Université. Dès ce temps-là, on recla- mait l'éducation libre, gratuite, obligatoire et purement laïque.
Bientôt apparaît Y Union, créée pour combattre à coup- de fusil tous ceux qui n'admettraient pas la souveraineté du peuple comme l'entendaicnlquelques bavards. Cette société, qui réalisait si bien son titre fraternel, est morte de phtisie au début de sa carrière.
Puis vient la société des Condamnés politiques; c'est-à- dire des gens qui demandaient récompense pour avoir trou- blé l'ordre sous le gouvernement précédent, et invitaient ainsi les spéculateurs à le troubler sous le nouveau, afin d'obtenir la prime que ne manquerait pas de donner le sui- vant. Fieschi s'étanl présenté à celte société comme victime politique, reçut une pension jusqu'en 1834, époque à la- quelle on s'aperçut (pie la Instauration avait persécuté ce scélérat pour tout autre chose que ses opinions.
Arrivent après, les réclamants de Juillet, commandés par M. O'Rcilly; leur cbilfrc finit par s'éleverjusqu'à cinq mille. Tout individu prétendant avoir déplacé un pavé, se figurait être l'auteur de la révolution et exigeait une rémunération confortable. Faute de pouvoir répondre à ces exigences, la plupart fort impudentes, le gouvernement fut taxé d'in-
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gratitude noire, et menacé de la colère des héros mécon- nus.
A la même époque apparaît la Société Gauloise, qui a pour chef M. Thielmans; c'est une association hiérarchisée et armée, prétendant à son tour faire céder le gouvernement par la violence.
Les.ijm's de la Patrie et les Francs régénérés ont le même but; mais ce ne sont que de simples clubs, créés pour satis- faire l'ambition de leurs fondateurs.
Nous voyons surgir encore la Société Constitutionnelle, inventée par M. Cauchois Lemaire, contre l'hérédité de la pairie; comme celle-là reste dans le cercle légal, nous n'en dirons rien.
Mentionnons aussi, sans lui accorder trop d'importance, l'ancienne société Aide -toi, continuée par M. Garnier- Pagès, sans couleur républicaine, et dont le rôle prudent s'efface devant la turbulence de ses voisines.
L'association sérieuse et prépondérante de cette époque, c'est la société des Amis du Peuple. Son influence ne tarda pas à atteindre et à absorber tout le parti républicain; c'est elle qui l'organise, l'échauffé et le dirige jusqu'aux journées de juin, où elle disparaît dans une tempête sanglante.
Avant de prendre la tète du parti, elle est précédée par une de ces associations prétendues maçonniques, dont les formes ne dissimulaient aucunement le but révolutionnaire; nous voulons parler de la loge des .4 m/s de la Vérité, qui, le 21 septembre, donna à Paris le spectacle d'une manifesta- tion théâtrale passablement insolite. 11 s'agissait d'un an- niversaire funèbre, le supplice des quatre sergents de La Rochelle. Toutes les sociétés devaient y figurer; mais les Amis de la Vérité y firent surtout de reflet par leur mise en scène. Ils s'étaient donné rendez-vous au lieu de leurs séan-
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ces, rue de Grenelle-Saint-IIonoré; là, ils arrêtèrent leur programme, revêtirent leurs insignes, puis ils se rendirent processionnellemeut place de Grève, où les quatre conspi- rateurs avaient été exécutés. M. Cahaigne, le vénérable, couvert des marques de sa dignité, menait le cortège avec cette solennité particulière que ses amis lui connaissent. Sur le passage, les postes obéissant au pitoyable esprit de désor- ganisation du moment, sortaient des corps-de-garde, et, au son du tambour, portaient les armes aux tabliers et aux beaux cordons rouges des maçons.
Arrivés sur la place, les Amis de la Vérité se rangèrent en cercle au milieu d'une grande foule de peuple. 11 y nvait là la plupart des patriotes de l'époque et un contingent con- sidérable du grand corps des badauds de Paris. Pareil spec- tacle était assez rare pour que les curieux s'en fissent une fête. Des orateurs, anciens carbonari, prirent la parole pour célébrer l'héroïsme des quatre sous-ofticiers, et maudire l'acte d'un gouvernement qui n'avait fait qu'user du droit le plus légitime de défense. 11 appartenait sans doute à ces messieurs, parmi lesquels nous retrouvons M. Bûche/, de plaindre le sort de leurs anciens compagnons; seulement ce qu'ils avaient à faire dans ce triste cas, ce n'était pas de glo- rifier un crime justement puni, mais bien de demander pardon à ces quatre victimes célèbres, dont leurs conseils avaient préparé la perle.
Tout cela se passa sous l'œil de la police qui avait ordre de laisser faire; le préfet, M. Girod de l'Ain, avait déclaré ne voir aucun inconvénient à la cérémonie.
La loge des Amis de la Vérité ne donna que ce signe de vie; bientôt après elle se perdit dans l'association des Amis du Peuple.
C'est certainement à l'idée républicaine pui e qu'es! due la
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création de cette dernière société, elle pointe dès les premiers jours du nouveau gouvernement, et quoique non encore or- ganisée, elle suscite par ses hommes qui marchent déjà d'ac- cord, la double tentative contre la représentation nationale. Juillet était tombé comme une bombe au milieu d'une géné- ration déjeunes gens dont les pères dataient de notre grande tourmente politique; la Restauration qui les trouvait hom- mes n'avait eu pour ces fils de révolutionnaires que répu- gnance et mauvais vouloir; la bourgeoisie, après Juillet, les eut accueillis volontiers, mais comme ils voulurent s'imposer à elle avec leurs idées violentes, une scission se déclara aus- sitôt; le malheur voulut que quelques hommes remarquables à différents titres, fussent à la tète de cette jeunesse ambi- tieuse, delàlecaractère dangereux que prend leur opposition.
Parmi ces chefs, les plus capables ou les plus audacieux se font reconnaître promptement. On les voit, dans des dis- cours ou des écrits fougueux, se refuser à reconnaître l'or- dre nouveau, et n'accepter de la révolution que sa consé- quence première : c'est-à-dire le droit de la recommencer. Le gouvernement laisse passer beaucoup d'attaques; mais comme en définitive, il ai le devoir de se défendre, quand ce ne serait que par respect pour la société dont il est manda- taire, on commence les poursuites contre les plus gros dé- lits et les plus hardis délinquants.
Dans celte dernière catégorie se classent quelques noms dont la trace se retrouve dans la plupart des agitations ul- térieures : MM. Godcfroy Cavaignac, Guinard, Marrast, Raspail, Trélat, Flocon, Blanqui; puis en ligne secondaire: MM. Antony Thourel, Charles Teste, les deux Vignerte, Cahaigne, Bonnias, Bcrgcron, Imbert, Fortoul, Delescluze, Félix Avril, etc.; ce sont presque tous des jeunes hommes sans position, embrassant dès lors le métier d'agitateurs
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qu'ils n'ont pas abandonné depuis. Bien ou mal, la plupart écrivent, et ce qui sort de leur plume est une distillation de poison d'un effet d'autant plus sur, que cela tombe sur des esprits encore tout saisis de la fièvre révolutionnaire. C'est chaque jour, dans les ouvrages de ces publicistes, des bra- vades contre la loi, des insultes contre le gouvernement et des attaques contre les bases mêmes de la société. Un jour- nal s'est fondé qui devient l'organe et l'incarnation du génie démagogique, tout le inonde a nommé la Tribune. Un autre: La Révolution de 1830, l'appuie dans sa Lâche, mais avec une expression de haine moins franche, moins invariable- ment venimeuse. 11 y a encore le Mouvement qui s'efforce aussi d'attirer la clientèle par le scandale. Mais le résultat qu'il manque, réussit beaucoup mieux à quelques petites feuilles dont les lazzis grossiers ou les dessins malpropres font pâmer d'aise les patriotes et les imbécilles.
Ceux de nos jeunes agitateurs qui n'écrivent pas dans ces journaux, brochent de petits imprimés à deux sous, que des libraires borgnes éparpillent par toute la France. M. Pa- gnerre est l'un de ces propagandistes industriels; il com- mence ainsi une fortune qu'il a su probablement arrondir à travers les vicissitudes du parti. Expliquons que ce succès financier n'est aucunement dû aux ouvrages de MM. Cabet et autres qu'il éditait alors.
Aux écrits s'ajoutaient les discours des clubs, commen- taires fougueux de tous les principes anarchiques, perpé- tuelles excitations aux passions révolutionnaires. Paris était infecté d'une odeur qu'on peut comparer à celle qui suit l'explosion d'un gaz mépln tique. Après toute révolution, au reste, il en est ainsi, et ce n'est pas l'effet le moins dé- testable de ces bouleversements auxquels certaines gens voudraient nous habituer.
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Notez que la démoralisation pénètre alors un'peu partout. Avec notre brillant courage et notre belle raison, nous sommes, nous autres Français, en de certains cas, des gens d'une étrange faiblesse et d'une inconcevable inconséquence; il n'était pas besoin de tant le montrer après Février, nous en avions déjà donné la preuve après Juillet. N'a-t-on pas vu alors la magistrature mettre comme une espèce d'affec- tation à encourager le désordre? Que ce fut connivence, peur ou respect exagéré de la lettre du code, toujours est-il que des acquittements eurent lieu, qui n'aboutissaient à rien moins qu'à l'impunité des plus criminelles attaques.
Aussi, n'y a-t-il point à s'étonner de l'audace des idées anarchiques et de la consistance rapide que prend l'associa- tion où elles ont leur source.
CHAPITRE IV.
Les Amis du Peuple. — La bourgeoisie les chasse de leur club. — Emeute.
— Projets d'assassinat contre le roi et contre les ex-ministres. — La jambe de bois. — Affiches diffamatoires. — Complot dans l'artillerie parisienne.
— Ses chefs.
La société des Amis du Peuple, fonctionnant au soleil, côte à côte avec l'article 291 du code Pénal, qu'on refusait de lui appliquer, pouvait se passer d'une organisation ri- goureuse. L'affiliation n'avait pas de ces mystérieuses for- mes qu'on adopta pour frapper les esprits et s'assurer la discrétion quand les sociétés furent défendues. L'admission s'obtenait par une notoriété ou une déclaration de patrio- tisme. Le mot patriotisme ne sous-entendait pas absolu- ment républicanisme, mais il s'en fallait de peu. Quelques
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braves gens pouvaient bien, dès lors, comme plus lard, s'imaginer qu'on sert un gouvernement par des attaques violentes, mais ce sont là des absurdités assez rares.
Les meneurs et la plupart des membres travaillaient sciemment et résolument à une révolution républicaine; quant à leur procédé, le voici : par une société centrale et publique, et par une large organisation d'écrits démocra- tiques, imprimer la direction aux sociétés secondaires, aux démocrates isolés, et arriver à accaparer les divers éléments du parti; affilier tous les patriotes qui se présenteraient, mais s'attacher surtout aux liomm.es d'influence ou de ta- lent, afin «remployer leur popularité ou leur parole au profit de la propagande; en dehors des discours et des écrits, saisir toute occasion de trouble pour animer les esprits, entretenir le gouvernement dans un état précaire, et, à la suite d'é- branlements successifs, le culbuter à l'heure favorable.
Ce système d'agitation permanente, praticable au lende- main d'une révolution, fut mis en œuvre avec un singulier zèle. Comprenant que desinsurrections au dehors pourraient réagir puissamment chez nous et favoriser leurs projets, les chefs décrétèrent l'envoi d'émissaires dans les pays voisins, avec ordre d'y tenter des soulèvements. Les grands gou- vernements étaient sur leurs gardes, et déjouèrent ces man- œuvres; mais les petits peuples, deux entre autres, les Belges et les Polonais, tentèrent la chance de l'insurrection. Les premiers y gagnèrent une nationalité, les seconds achevè- rent d'y perdre la leur
En Belgique, au reste, les Ami* du Peuple ne s'étaient pas contentés d'envoyer des parleurs; un bataillon, organisé par leurs soins, était parti de Franco, pour déterminer et appuyer le mouvement. Le sucées de celle expédition de ISilll enga- gea naturellement nos révolutionnaires de 1848 a la renou-
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vêler; mais les Belges possèdent une assez bonne royauté qu'ils n'ont nulle envie de Croquer contre une mauvaise république.
La société centrale s'était installée au manège Peltier, rue Montmartre, sous la présidence de M. Hubert (Jean- Louis ). Les membres étaient dans une enceinte au milieu du local, le public dans le vaste pourtour qui restait libre. Il se passait là chaque jour des scènes tumultueuses où la violence et le burlesque, le talent et l'ineptie dominaient tour h tour. Certains membres, grands amateurs de paro- dies révolutionnaires, y eussent volontiers appelé les trico- teuses et le reste de la mise en scène des anciens Jacobin*.
Comme l'idée de disperser la représentation trottait tou- jours dans les esprits et que, d'ailleurs, il fallait agiter, on décida vers la fin de septembre de provoquer une grande discussion sur la légalité des pouvoirs de l'Assemblée. Pen- dant trois jours cette question soulevée en plein public, et au milieu d'un peuple encore chaud de la bataille, tint Paris tout frémissant. La décision fut : que le mandat des députés était éteint, que le peuple devait exiger leur renvoi et qu'une affiche, à cet effet, serait placardée sur les murs de Paris. Les termes de cette pièce furent votés séance tenante, et le manuscrit immédiatement envoyé à l'imprimeur. Si molle que fut la police alors, elle comprit qu'il fallait sé- vir; l'affiche fut saisie chez le concierge de l'imprimerie. MM. Hubert, comme président, Thierry, comme trésorier de la société, David, comme imprimeur du placard, furent renvoyés en police correctionnelle.
M. Hubert, commençant cette série de scandales qui si- gnalent les procès politiques de l'époque, fit un discours ré- volutionnaire, dont le sens était que la justice change avec chaque gouvernement et que les magistrats de la Restau-
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ration n'étaient pas dignes de le juger, lui délinquant du ré- gime de Juillet. Cette ineptie, ou cette effronterie, comme on voudra l'appeler, s'est reproduite maintes fois depuis, à la grande admiration des patriotes.
M. Hubert et M. Thierry furent condamnés à trois mois de prison; l'imprimeur fut acquitté. Le tribunal parle même jugement, déclara la société dissoute.
Ce début semblait promettre une répression efficace, mais la jurisprudence change presque aussitôt, et s'engage dans une interprétation de la loi aussi fausse que dangereuse.
A la suite du vote de l'affiche, avait eu lieu une manifes- tation significative: la bourgeoisie impatientée d'une agita- tion qui la ruinait, et résolue à y mettre ordre, se rassem- bla en grand nombre devant le manège, rue Montmartre. On cria : A bas les clubs ! Et en même temps quelques gardes nationaux s'introduisirent dans la salle, déclarant que les commerçants n'avaient que faire d'être continuellement troublés comme ils Tétaient. Au nom de leurs confrères, ils venaient sommer les Amis du Peuple de cesser leur cours d'anarchie. Il y eut de grandes protestations, des cris et des injures; mais comme les boutiquiers insistèrent et se mon- trèrent décidés à obtenir la paix, le club finit par céder; il abandonna la salle et se dispersa.
Cet acte énergique, et le jugement qui dissolvait la so- ciété, font entrer les Amis du Peuple dans une nouvelle phase. Le club public se transforme désormais en société secrète; non pas dans les conditions de mystère absolu, que nous verrons plus tard, mais en ce sens que les affiliés seuls sont sensés assister aux réunions, et que les convocations n'ont plus lieu par le moyen des journaux, ou même par voie d'affichage sur les murs. Un reste, la société, loin d'en- trer en dissolution , accroit tous les jours son chiffre et sa pro-
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pagande. Les petits imprimés se multiplient à l'infini, trai- tant toutes sortes de sujets sur tous les tons; des circulaires donnent le mot d'ordre; on rend des décrets, on affilie en province; la France et surtout Paris, sentent de plus en plus l'anarchie remuer sous le sol et creuser sa mine.
Comme les Amis du Peuple reconnurent décidément qu'ils n'étaient pas de taille à jeter les Chambres, ou plutôt le gou- vernement par les fenêtres, ils cherchèrent quelque autre occasion de désordre. Le procès des ministres qui allait s'ou- vrir fut leur affaire.
Le 17 octobre, on voit, déboucher sur la place du Palais- Royal des bandes bruyantes commandées par des membres des Amis du Peuple et de l'Ordre et du Progrès; arrivés sous les fenêtres du roi, qui habitait encore son ancien palais, ces apôtres de la fraternité se mettent à hurler à toute ha- leine : Mort aux ministres ! La garde nationale intervient et balaie la place. Mais le lendemain, sur le mot d'ordre donné la nuit, le rassemblement reparait, plus nombreux et pré- cédé de rumeurs alarmantes. Il se répand que les clubistes doivent aller à Yincennes, arracher les ministres de leur prison et les assassiner. Ce beau projet était effectivement arrêté, mais il devait être précédé d'une tentative sur le Palais-Royal. Voulait-on égorger le roi avant les ex-minis- tres? 11 n'y a pas beaucoup à hésiter pour répondre: oui, si l'occasion s'en présentait. Louis-Philippe a eu dès le commencement de son règne, le triste honneur d'irriter assez les hommes de désordre pour que sa destruction, par tous les moyens, ait été résolue. Les républicains ne regar- deront probablement pas cette allégation comme une ca- lomnie; nous la faisons même pour qu'ils puissent l'applau- dir, aujourd'hui que la souveraineté dubul le leur permet, et même leur en fait un devoir.
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Une chose certaine, c'est que le 18 octobre, des Amis du Peuple parcouraient les quartiers, excitant le peuple à se porter sur le Palais-Royal et déclarant qu'il fallait y entrer coûte que coûte. Un millier d'individus répondit à l'appel et tous se dirigèrent tumultueusement vers la demeure du roi; ils y trouvèrent bonne garde et bonne conte- nance de la part de la troupe; ce qui déconcerta leur cou- rage et les décida à voir d'un autre côté. Le projet d'atta- que sur Vincennes était scabreux, et quand les meneurs annoncèrent l'exécution de cette seconde partie du pro- gramme, tout le monde lit semblant d'être prêt; mais les trois quarts se débandèrent, ou traînèrent la jambe, si bien qu'à la barrière du Trône l'expédition se réduisait à trois cents hommes, lesquels tinrent bon et poursuivirent leur route. Arrivés à Vincennes, il mandent le général Daur ménil, commandant de la forteresse, et le somment de li- vrer les prisonniers; le vieux soldat hausse les épaules et répond que cela ne se fait pas ainsi. Les émeuliers se répan- dent en cris de fureur et menacent de prendre le fort. — Quant à cela, répond la Jambe debois, vous pouvez essayer; mais je ne vous le conseille pas.
Reconnaissant la justesse de l'observation, les lueurs de ministres battirent en retraite et rentrèrent dans Paris en épouvantant les populations de leurs cris de mort. La garde nationale les attendait, et jugeant que cette odieuse parade avait trop duré, elle les enveloppa et en conduisit 136 à la Préfecture de police.
Ce n'était que la fin du prologue; un mois après, Ion du procès, le même sentiment de férocité, si bien d'accord tYCC les phrases fraternelles des clubs, indignait la Uranccct fai- sait demander à l'Europe de quel droit nous nous appelons le peuple humain et civilisé par excellence.
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Pour se récompenser de leur double échec, les émeutiers collèrent le soir sur les murs des placards infâmes contre le roi et sa famille; vengeance tout-à-fait digne de la cause et des hommes : on n'avait pu frapper, on salissait.
Quelques jours après, d'autres affiches clandestines an- nonçaient qu'une indemnité de deux cent mille francs était accordée à M. de Quelen : « Sans doute, disait le patriote anonyme, pour le dédommager de la poudre et des poignards trouvées chez lui et qui devaient être employés contre les braves combattants de Juillet. » Les armes et munitions, trouvés chez l'archevêque de Paris, étaient une odieuse in- vention qu'il est inutile de relever. On sait que ces sortes d'allégations sont à l'adresse spéciale de la populace abrutie, et que les hommes intelligents du parti en savent la fausseté tout aussi bien que leurs adversaires.
Les républicains ne s'appuyaient pas seulement sur les sociétés populaires, groupes comparativement infimes et dont l'action dans la rue n'avait rien de redoutable; ils comptaient sur un appui beaucoup plus sérieux que je vais faire connaître.
La garde nationale de Paris, alors dans tout son zèle, formait une magnifique armée au service de l'ordre; une seule arme, l'artillerie, était envahie par les républicains de la société des Amis du Peuple. Lu hiérarchie de l'association se retrouvaitdans le corps armé, c'est-à-dire que les chefs des Amis du Peuple avaient les principaux grades dans les batteries; de sorte que la société, proscrite comme aggréga- tion politique, se trouvait légalement organisée et armée, comme troupe de milice. Cette situation impossible était connue du pouvoir et lui inspirait de justes inquiétudes; mais la simple raison d'Etat ne suffisait pas alors, tant s'en faut, pour motiver la dissolution d'une garde nationale;
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c'eut été le signal d'une tempête de vociférations dont r ul. e épouvantait. D'ailleurs, après toute révolution, une partie du pouvoir écheoit à certains hommes qui, sortis du désor- dre, pactisent naturellement avec lui. Par faiblesse d'un côté, connivence de l'autre, les républicains des Amis du Peuple possédaient donc une organisation armée, sous le couvert de l'artillerie parisienne.
L'exaltation et l'impatience des clubistesles poussaient à user promptement de l'étrange avantage qu'on leur laissait; aussi voulaient-ils agir à la première occasion. Les troubles du mois d'octobre avaient paru prématurés aux chefs, qui ne s'y étaient pas mêlés, laissant faire les casse-cou; toute- fois, cette question des ex-ministres avait été travaillée de- puis avec tant de soin, qu'au moment du procès on crut pouvoir s'en faire un bon prétexte.
Sur quatre batteries que comptait la garde nationale, la deuxième avait pour chefs MM. Guinard et Godefroy Cavai- gnac, la troisième MM. Bastide et Thomas, tous membres principaux de la société des Amis du Peuple. Dans les deux autres batteries on comptait beaucoup d'officiers patriotes qui se faisaient fort d'enlever leurs hommes.
Bien persuadés que les idées de sang, inspirées au peuple au sujet des ex-ministres, pouvaient cire exploitées utile- ment, les chefs des Amis du Peuple et de la Socicté de l'Or- dre et du Progrès, décidèrent qu'un mouvement serait tenté pendant le procès. Il s'agissait de se porter sur le Luxem- bourg, d'y réaliser cette pensée si chère aux patriotes : l'as- sassinat des ex-ministres; et puis, le coup fait, de revenir au Palais-Royal afin d'y détruire la royauté, après avoir agi révolulionnaircment envers le roi. Le moyen était dans la trahison du corps d'artillerie qui devait livrer ses pièces.
Bien entendu que cet acte si grave de la remise des ea-
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nous aux émeutiers devait être exécuté habilement. MAI. Ca- vaignac, Guinard, Bastide, etc., étaient des hommes intelli- gents, incapables d'une maladresse commune. Pour préparer l'affaire, le bruit fut répandu doucement que les faubourgs avaient formé un complot contre une partie de la garde na- tionale, qu'on croyait être l'artillerie; toutefois, assurait-on, celle-ci était et resterait fidèle. C'était plus ou moins bien inventé. Quoi qu'il en soit, la connivence des artilleurs était formellement niée. Comme preuve de leur attachement à l'ordre on cita même ce fait, que M. Cavaignac avait dis- tribué des cartouches à ses hommes pour les mettre à même de repousser une attaque. Sans rien dire de trop sur le compte de M. G. Cavaignac, homme exceptionnel dans le parti et à qui je rendrai la justice qu'il mérite, il me sera permis de croire que cette distribution de cartouches avait un tout autre but que celui dont on parlait. La suite va montrer si j'ai tort.
CHAPITRE V.
Procès des Ministres. — Emeute. — Complot dans la Garde nationale. — MM. G. Cavaignac, Guinard, Trélat, Sambuc, Audry de Puyra\ eau.— Leur procèj. — Emeutes sur émeutes. — L'Artillerie du maréchal Lobau.
Dès le premier jour du procès, on vit se grouper autour de la Cour des Pairs des jeunes gens de la Société de l'Ordre et du Progrés, conduits par M. Sambuc; ils furent rejoints par des groupes d'Amis du Peuple et des autres sociétés. Ce noyau, s'augmentent du contingent ordinaire de curieux et de malfaiteurs, constitua bientôt un rassemblement consi-
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dérable. Les clameurs commencent, se grossissent et arri- vent à un diapason formidable, où des voix hideuses grin- cent frénétiquement ce refrain : A mort les ministres !
Un honnêtehommejustementéniu et indigné, M. Odilon- Barrot, préfet de la Seine, fit afficher cette proclamation courageuse : « Je déclare que le premier acte d'agression « sera considéré comme un crime. S'il se rencontrait parmi « vous un homme assez coupable pour attenter à la vie de « ses concitoyens, qu'il ne se considère pas^comme soumis « aux chances d'un combat; il sera simplement un meur- « trier, et jugé comme tel par la cour d'Assises, selon la « rigueur des lois. » Et il ajoutait : « La réparation que « notre généreuse nation demande est-elle donc seulement « dans le sang de quelques malheureux ? »
Comme on le voit, la faction républicaine venait autour du Luxembourg, non pour recueillir l'arrêt de la justice, mais pour le dicter, et le dicter sanglant. Non pas que des hommes comme MM. Cavaigaac eiGuinard tinssent à voir égorger les ministres, mais cet acte odieux soufflé à la plèbe du parti, pouvait servir utilement un plan révolutionnaire envoie d'exécution.
Chaque jour, tantque dura le procès, rémente s'installa menaçante devant le Palais Médicis. On voyait revenir à la même heure cette bande d'hommes, disciples prétendus de la cause de l'humanité, qui donnaient à Paris l'idée d'un charnier assiégé par des bêtes féroces.
Les débats finis, et avant le prononcé du jugement, des voitures apprêtées dans le jardin, reçurent les accusés, qui furent reconduits grand train, et sous bonne escorte à Yin- cennes.
L'arrêt devait être rendu ce jour-là, et tout avait été mis en œuvre pour exaspérer la population, à l'annonce du ht-
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diet, qu'on savait devoir être miséricordieux; la foule était donc pins frémissante, plus enflammée que jamais. Tout à coup une détonnation retentit, annonçant que les ministres sont en sûreté :
— Aux armes ! s'écrient quelques chefs, qui guettaient une occasion. Le signal vient d'être donné.
On s'ébranle en tumulte, et un grand flotde furieux s'agite, cherchant une direction; les meneurs étaient déjà à la tète, et par un seul mot : Au Louvre ! avaient jeté une lumière dans cette masse. Il s'agissait d'aller chercher les canous promis.
Sur la route, des gardes nationaux et des agents de l'au- torité éprouvèrent le premier effet de cette explosion; les uns furent abattus et foulés aux pieds, d'autres assaillis à coups de poignards ou de pistolets.
Toujours, dans des cas pareils, si le coup manque, les ha- biles etles niais jureront leurs grands dieux que la manifesta- tion était complètement pacifique; toujours aussi quand un commencement d'exécution aura lieu, vous verrez luire sou- dain des lames de couteau et des canons de pistolet, qu'on n'a certainement pas eu le temps d'aller chercher loin.
Pendant que la colonne accourait sur le Louvre, le pou- voir instruit, en faisait fermer les grilles et s'apprêtait à tenir tête au danger.
Toute l'artillerie était renfermée dans le palais, où un singulier spectacle frappait la vue. Certaines compagnies étaient dévouées au gouvernement, d'autres à la révolution. Il y en avait où les opinions étaient mêlées, présentant une majorité, celle-ci en faveur de l'ordre, celle-là en faveur du désordre. Tous ces hommes, jeunes, ardents, aussi décidés à soutenir leur parti d'une part que de l'autre, étaient là en face, échangeant des regards de métiance ou de défi. Les
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artilleurs fidèles, couvant pour ainsi dire les pièces, étaient décidés à les défendre énergiquement, et à les enclouer plu- tôt que de les laisser prendre. Ils savaient que la batterie Cavaignac etGuinard avait ses mousquetons chargés, et que les républicains des sociétés étaient prêts à s'élancer pour saisir la proie qu'on leur avait promise. La position était rude; mais les bourgeois, comme les appelait déjà le dédain aristocratique des démocrates, avaient la volonté et le cou- rage d'une résistance efficace.
L'émeute continuant à grossir aux abords des grilles, des détachements de gardes nationaux entrèrent à l'intérieur et vinrent renforcer leurs camarades. Alors la scène augmenta de gravité; des altercations s'élevèrent qui menaçaient de se tourner en violence. Le commandant Barré interpella M. Bastide, son capitaine, l'accusant lui et les siens de tra- hison. Les artilleurs de chaque parti prirent fait et cause pour leurs chefs, et le moment vint où les mousquetons s'appliquaient à l'épaule prêts à faire feu. La querell* calma; cependant, la garde nationale du dehors dégagea les alentours de la place; et les choses se menèrent ainsi jus- qu'à la nuit. Vers dix heures du soir, le duc d'Orléans étant venu rejoindre sa batterie, en uniforme, fut accueilli par des marques de dévouement qui complétèrent la démorali- sation des artilleurs républicains. Us ne tardèrent pas a abandonner la partie, laissant les pièces à ceux qui enten- daient en faire, non pas l'appui mais la répression du dé- sordre.
La journée s'acheva ainsi. On pouvait croire que ces scè- nes avaient trop duré, mais l'esprit d'anarchie est tenace. Le lendemain, les Amis du Peuple et les sociétaires de Y Ordre et rfu Progrès reparaissaient dans la rue. Les émeu- tiers de rencontre, ceux que nous avons désignés sous le
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nom de gobe-mouches et en général les patriotes d'un peu de bon sens, sentirent cette fois que la manifestation était surabondante; ils s'abstinrent. Voyant que leur présence pro- duisait le plus triste effet, les clnbistes s'en furent au quartier Latin, espérant trouver meilleur accueil dans cet endroit re- nommé pour le recrutement des émeutes; un nouveau dés- appointement les y attendait. Fatigués de vaines flagorneries et d'une réputation que la majorité des écoles ne méritait pas; quelques étudiants, de ceux qui étudient, se mirent à la tète d'un rassemblement qui se composa bientôt de quinze cents élèves. L'habitude fit croire qu'il s'agissait d'une nouvelle levée d'agitateurs, et les républicains accoururent enchantés, croyant n'avoir qu'à prendre le commandement de ce ma- gnifique renfort; quel fut leur étonnement, ou plutôt leur indignation en voyant la colonne se diriger en bon ordre vers le Palais-Royal et demander à offrir ses compliments au roi! Force leur fut de battre en retraite et d'aller atten- dre, au fond des clubs, quelque occasion meilleure.
Ces troubles, dont le but était fort grave et dont le carac- tère eut quelque chose d'odieux, amenèrent devant la cour d'Assises dix-neuf personnes dont voici les noms : MM. Go- defroy Cavaignac, Guinard, Trélat, les deux premiers capitaines, le troisième simple soldat dans l'artillerie pari- sienne; Sarnbuc et Audry, étudiants; puis MM. Francfort, Penard, llouhier, Pécheux d'Uerbinville, Chaparre, Gour- din, Guilley, Chauvin, Lebastard, les frèresGarnier, Danton, Lenoble et Pointis.
Esquissons parmi ces figures celles qui en valent la peine, et d'abord celle de M. Godefroy Cavaignac.
Fils d'un de ces hommes sombres qui portent la responsa- bilité de la terreur, il entra dans la vie publique plein des souvenirs paternels et d'une ambition révolutionnaire. Il
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nVa que justice à dire que c'était un homme d'un grand esprit, d'une àme généreuse et d'un caractère loyal. 11 était poète et artiste et aimait à vivre dans un monde de fantaisie. Son erreur, comme celle des rêveurs en général, fut de ne ]>as voir que, dans cette sphère de l'imagination, où l'homme privé peut s'égarer sans inconvénient, le citoyen trébuche, l'homme d'Etat perd toute autorité. M.Godefroy Cavaignac devait arriver à la tète de son parti, par ses brillantes qua- lités, et l'aire beaucoup de mal à son pays, maigre ses bon- nes intentions. 11 était encore destiné, par cela même qu'il dominait son entourage par l'esprit et le cœur, à une lutte misérable contre la jalousie et l'inintelligence des sien-. L'étrange haine, dont nous le verrons l'objet de la part des républicains, haine qui alla jusqu'à le dévouer aux poi- gnards, eut certainement une de ses causes dans le pres- tige de supériorité que répandait, non seulement son ca- ractère et son talent, mais toute sa personne. 11 avait à un haut point, mais sans affectation ni amertume, le dédain de> petites choses et la pitié des petits hommes. A le voir, on ne pouvait s'empêcher d'un certain respect. Sa taille haute et dégagée, une grosse moustache noire, un œil ferme un peu triste, des traits d'une régularité vigoureuse, lui don- naient un cachet de noblesse, relevé d'une pointe militaire, dont l'ensemble prévenait fortement, (l'était le type du hé- ros politique, tel qu'un artiste le concevrait.
La France de 1818, trouvant cet homme à sa tête, eut pu redouter de généreuses folies, mais pas de parodies hum - râbles, d'inepties gigantesques, de dilapidations éliront' Reste à savoir combien de temps on l'eût soulVert au pou- voir. Selon toute probabilité, il eût éprouvé bien vile le sort des esprits sérieux qui se mêlent à des faits extravagants. Il eût été saisi et broyé par toutes les forces aveugle? ou inté-
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ressées du moment : la jactance de M. Ledrii-Rollin,la roue- rie de M. Caussidière, le venin de M. Blanqui, les chatteries de M. Louis Blanc, la frénésie de M. Sobrier, et puis et sur- tout la jalousie de ces génies ridicules ou impuissants qui ont nom Flocon, Lamartine, ?»ïarrast, etc. ?...
Je suis à Taise pour juger les personnages républicains, je les connais pour les avoir vus de près; on peut donc ajou- ter quelque foi à ce panégyrique de M. Godefroy Cavaignac. C'est, selon moi, le seul homme à la fois supérieur et sin- cèrement convaincu du parti républicain de 1830. J'ajoute que cet homme aimait chaudement mais n'estimait pas son parti, qui, en revanche, l'estimait mais ne l'aimait pas.
De M. Guinard, il n'y a que peu de chose à dire, si ce n'est qu'il peut passer pour le décalque de M. G. Cavaignac. 11 a comme valeur, à côté de ce dernier, celle d'une bonne copie à côté de l'original. Beaucoup de bonnes qualités le recommandent, niais elles sont d'une élévation ordinaire; c'est une de ces natures où rien ne choque, mais où rien ne frappe. Seulement il mérite de if être pas confondu, dans le troupeau républicain, auquel il est fort supérieur par la lovauté et la tenue.
L'apparence grêle etla physionomie bénigne de M Trélat donnent Tidée d'une organisation où dominent la douceur et l'affection. C'est effectivement un homme bon et sym- pathique, très propre à l'emploi de médecin de vieilles fem- mes qu'il remplit à la Salpétrière. Sa bonté, c'est de la fai- blesse, et la faiblesse en politique mène aux scènes dont l'histoire des ateliers nationaux nous fournit l'exemple.
M. Sambuc, le créateur de la société de Y Ordre et du Progrès^ est un de ces types d'étudiants tapageurs, à qui la gloire de la chaumière et des soupers débraillés ne suffit pas. 11 se fil héros révolutionnaire par mode et sous l'in-
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fluence de cette fièvre de jeunesse qu'on appelle du patrio- tisme. Désabusé à la suite de ses premiers démêlés avec la justice, il (initie Paris et ne reparaît plus dans la longue série de nos troubles politiques.
Quant à M. Audry de Puyraveau, fils de l'ancien député, c'était un jeune homme fort médiocre, qui se croyait tenu de soutenir au quartier Latin la réputation républicaine de son père. 11 reparaîtra plus d'une fois en police correction- nelle ou devant la cour d'Assises, conspirateur d'habitude, dont le rôle ncs'clèvc jamais au-dessus de celui de comparse.
Le procès attira l'attention publique et fit grand bruit dans le parti. M. Godefroy Cavaignac exposa ses doctrines républicaines avec une vigueur remarquable. 11 avait dans l'altitude et la parole une certaine grandeur qu'il était im- possible denier. 11 faut le dire, on sentait encore la poudre, et l'intérêt excité par ce fier jeune homme, fils de révolu- tionnaire, confessant éloquemmcnt les principes de ré\olu- lion, pouvait se comprendre. Toutefois, lui el ses confrères qui voulurent aussi se faire une scène du tribunal, n'a- boutirent qu'à l'aggravation de leur délit. Plus d'un d'entre eux, au-dessous du rôle qu'il voulait jouer, lit même haus- ser les épaules aux hommes de bon sens. Ainsi M. Péeheuv d'Herbin ville, à qui on reprochait d'avoir distribué des ar- mes aux émeutiers, s'écria emphatiquement qu'il avait pris ces armes aux Suisses en 1830. Que voulait-il dire? Sans doute que ce butin de révolution devait servir forcément à une nouvelle révolution. C'est ainsi qu'on raisonne ordinai- rement en démagogie. Tout individu qui a eu riioiineur de contribuer, par un coup de fusil, à bouleverser la France et l'Europe, se croit le droit de recommencer aussi souvent qu'il lui plaît.
En dehors des principes de subversion politique, il se
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glissa bien aussi dans ce procès quelques-unes des idées que l'on appelle aujourd'hui sociales; mais cela n'épouvan- tait pas trop alors; ces utopies semblaient, même aux plus craintifs, ne devoir jamais sertir du domaine de la théorie. On a vu depuis qu'il n'est doctrine si extravagante qui ne puisse, à un moment donné, envahir le peuple le plus spi- rituel de l'univers.
Quoi qu'il en soit, malgré les circonstances du délit, et les scandales du procès, tous les accusés furent renvoyésabsous.
Naturellement le parti républicain cria victoire, et se crut maître du pays. Pour profiter de son succès, il s'ameuta le lendemain, 16 avril 1831 . Gardes nationaux, troupes à pied et à cheval accoururent aussitôt et balayèrent l'armée anar- chiste.
Il y avait au pouvoir, dès cette époque, un homme qui, n'entendant nullement souffrir la révolution en perma- nence, et sachant de quoi les factions sont capables, était dé- cidé à une répression aussi prompte qu'énergique. Cet homme c'est M. Casimir Perrier. La Préfecture n'avait pas encore de titulaire suffisant, mais elle possédait déjà dans M. Carlier, le chef de la police municipale, an des fonction- naires de l'esprit le plus décisif et de l'activité la plus infati- gable. Le gouvernement de Juillet, balloté jusque là au re- mou de la révolution, allait entrer dans une phase, non de calme, grand Dieu ! mais de volonté rude et inébranlable.
11 était impossible, d'ailleurs, de s'abuser sur un point, à savoir que les chefs de la fraction républicaine, résumée dans les Amis du Peuple, avaient décrété une agitation per- manente, dans l'espoir d'en faire sortir une occasion de bouleversement; ce plan n'était que trop facile à réaliser dans l'état des esprits; aussi voyons-nousles troubles se suc- céder sans interruption.
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Le 2 mars, il v avait émeute autour du Palais-Roval; quelques centaines d'ouvriers, de ceux avec lesquels on fait <lrs ateliers nationaux, s'étant portés sous les fenêtres du roi, se mirent à crier avec foreur : De l'ouvrage ou du pain! Les journaux de l'époque ne manquèrent pas de s'apitoyer sur le sort de ces braves citoyens, qui n'étaient que leurs com- pères et ceux de la société des.tm/s du Peuple. Les bons ouvriers, ceux qui ont du courage et du bons sens, n'ont garde de se mêler à ces manifestations dont le résultat di- rect est d'empirer leur sort en empirant les affaires.
Quelques jours après, l'insurrection de Pologne servait de prétexte. Le 10 mars, deux individus préludent aux troubles en tirant des coups de pistolets dans les vitres de l'ambassade de Russie. Sotte fureur qui ne sait à quoi s'en prendre et s'attaque au représentant inviolable d'une nation amie. Le 1 1 et le 12, des rassemblements se forment qui donnent lieu à l'ai rt station d'hommes armés. Cinq semaines après, l'émeute sort pendant trois jours; elle rentre dans ses ténèbres et reparait au bout d'un mois, jour pour jour. Cette fois il y a des faits graves; on crie : A bas la garde nationale! des armuriers sont pillés, des réverbères mis en pièces, et un poste de troupes menacé.
Ces scènes indignaient plus les citoyens qu'elles n'épou- vantaient le gouvernement. Sûr de l'appui des hommes rai- M.unables et laborieux, il eût voulu mettre l'ordre dans Pa- ris par quelque moyen efficace, mais qui ne contât pas de sang. Le maréchal Lobau, soldat sans cérémonie, en prOfWI un qui témoignait d'un certain mépris pour la gent émeu- liere, mais qui avait son originalité et son mérite. Les Amis du Peuple, avantapprisque la croixde Juillet porteraitcomme inscription : Donnée par le roi, jugèrent qu'il y avait là ma- tière à émeute, Ordre est aussitôt transmis de se rassembler
à la place Vendôme pour organiser une manifestation. Ma- nifester était devenu un métier pour quelques centaines d'ambitieux ou de fainéants, et on les trouvait toujours exacts aux convocations. Ils furent autour de la Colonne à l'heure dite et attendirent bravement l'arrivée de la force publique. Cette force, qui se contentait de les bousculer, parfois un peu brutalement, ne les effrayait guère. Ils faisaient donc bonne contenance quand le maréchal Loban parut avec une artillerie d'un nouveau genre dont il s'était muni, et que la foule n'apercevait pas. Sur une première sommation, qui fut bravée stoïquement, le vieux général démasqua ses pièces et fit un commandement qui n'était pas précisément celui de: feu! A l'instant, une demi-douzaine de pompes, vi- goureusement servies, crachèrent sur le rassemblement une mitraille aquatique de l'effet le plus merveilleux; ce fut une débandade mêlée de cris, un sauve-qui-peut effaré, une confusion pire que s'il eût plu des balles. La place se trouva balayée comme par enchantement.
Ces différentes affaires donnent lieu à des procès, remar- quables seulement en ceci, que les meneurs du parti n'y figurent presque jamais. Les accusés, selon l'usage, étaient des étourdis ou de pauvres diables dont le crédule enthou- siasme aboutissait à la police correctionnelle ou à la cour d'Assises; quant aux directeurs des mouvements, ils se contentaient de donner leurs instructions, ayant grand soin de disparaître quand le désordre était allumé et que les ho- rions commençaient à pleuvoir.
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CHAPITRE VI.
Permanence de l'émeute. — M. Carlier et les assommenrs de la Bastille. Les dogues populaires domptés. — M. Gisquet — Du rétablissement d'un ministère de la police.
Il est inutile de dire toutes les raisons par lesquelles la Tribune et les journaux de son espèce cherchaient à justi- fier les désordres de la me; une de ces raisons était la misère du peuple, trop réelle, hélas! comme après toute commotion politique, mais imputable, on en conviendra, à tout autre qu'au gouvernement. Il est bien certain qu'un pouvoir nou- veau n'a pas d'intérêt à se faire maudire, et que l'intérêt, à défaut de la conscience, lui commande d'avoir égard aux besoins du peuple; niais l'opposition radicale, qui voulait bien gratifier la royauté de Juillet de toutes sortes de roueries, n'admettaitpas qu'elle eût la plussimple de toutes: celle de se rendre populaire sans bourse délier. Non contente des repro- ches de tyrannie et d'avidité qu'elle adressait au nouveau règne, elle déclara qu'il y avait parti pris de ne rien faire pour les ouvriers. L'accusation était grave, mais souverai- nement injuste; qu'on en juge : le gouvernement prouva, par des chiffres, qu'en un seul mois il avait employé sepl
millions en travaux publics.
L'émeute était devenue permanente, grâce aux excita- tions républicaines. Tout prétexte de désordres était saisi avidement; quand il ne s'en présentait pas, on en savait faire naître. Quelques jours avant le 14 juillet 1831 , on annonça que l'anniversaire de la Bastille serait fêté par la plantation d'arbres de liberté; il fut en outre souftlé aux
intimes qu'il y aurait probablement quelque chose, ce qui était un avertissement de se tenir prêt. La police commen- çait à avoir l'oreille dans les conciliabules; elle fut instruite de cette recommandation; et comme il était temps de prou- ver à la poignée de républicains de Paris, que le pays ne s'était pas voué indéfiniment à leur tyrannie, on prit des mesures pour arrêter le trouble à sa naissance. Une pro- clamation défendit de former aucun rassemblement et de donner suite aux projets de plantation d'arbres de liberté. Malgré cette recommandation, les clubistes, ayant en tète les Amis du Peuple, descendirent à l'heure dite, et se sépa- rant en deux bandes, tirèrent les uns vers les Champs- Elysées, les autres vers la Bastille. AuxChamps-Elyéses, le maire du premier arrondissement s'avançait au milieu des émeu tiers pour leur faire des observations, quand il fut ar- rêté par un dentiste, M. Désirabode, qui lui allongea deux pistolets sous la gorge. Repoussé à coups de baïonnettes par les gardes nationaux, ce furieux paya cher son triste exploit; blessé grièvement, il ne dut la vie qu'à l'intervention de l'homme qu'il voulait assassiner.
Quant aux scènes de la Bastille, il en a été parlé Dieu sait comme, et combien de fois. La police, au dire des jour- naux de l'époque, s'y déshonora à tout jamais, en embri- gadant des sergents de ville, voleurs, forçats, qu'elle lâcha sur de pauvres victimes désarmées. Telle est la version ré- publicaine; tout le monde la connaît. La nôtre a le double malheur d'être beaucoup moins noire pour la police, et beaucoup plus vraie.
Des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, de vrais ou- vriers, ayant envie de travailler, mais ne le pouvant pas à cause du perpétuel tapage des républicains, vinrent trouver M, Carlier, chef de la police municipale, s'oflrant de balayer
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eux-mêmes leur quartier, si les Amis du Peuple y parais- saient. On leur fit remarquer que la chose était délicate, que ce serait une rixe entre citoyens, car on ne pouvait leur donner mandat régulier de répression, mais qu'après tout, leur résolution était honorable, et la tranquillité de leur quartier chose assez importante pour qu'ils en prissent souci. Ils n'en demandèrent pas davantage, et retournèrent au faubourg.
Le lendemain, comme les républicains arrivaient, se dis- posant à commencer leur bruit, les défenseurs officieux de l'ordre, gens de nature un peu brutale, et qui voulaient on finir, tombèrent a coups de bâtons sur l'émeute, bouleversè- rent les gobe-mouches, contusionnèrent les clubistes et net- toyèrent vigoureusement la place.
11 était triste d'être rossé de la sorte, mais ces Amis du Peuple avaient une manière si étrange de témoigner leur affection aux ouvriers; la reconnaissance de ceux-ci était à l'avenant.
Telle est, en deux mots, la fameuse histoire des assom- meurs tirés du bagne; elle change notablement de carac- tère quand elle n'est pas racontée par les patriotes. Dan? leurs récits, il n'y a comme toujours, qu'une affirmation ba- sée sur quelque commérage, ou bien une invention impu- dente; du coté de la police il y a de bonnes preuves, dont M. Caussidière et d'autres ont pu prendre connaissance, s'ils l'ont voulu.
La leçon de la Bastille profita; il n'y eut pas d'émeute le mois suivant. En ce temps-là Paris remerciait Dieu quand il vivait tranquille pendant quatre semaines. On a peine à croire ce fait, que quelques centaines de vauriens se met- tent en tète de troubler périodiquement le pays et y réus- sissent; pourtant c'est de l'bistoTe d'hier.
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Au mois de septembre, on apprend la chute de la Polo- gne; fort belle occasion qu'on u'a garde de manquer. Les petits imprimés jettent feu et flamme, la Tribune écume, les chefs des Amis du Peuple sont verts d'indignation. Ces ter- ribles hommes qui, arrivés au pouvoir, ont eu la prudence de ne dévorer aucun tyran, n'ont jamais manqué, dans l'op- position, de demander la guerre générale à propos de n'im- porte quoi. A leur avis, en refusant de s'embarquer dans une affaire impossible, et qu'ils ont jugée telle eux-mêmes dix- sept ans plus tard, le gouvernement de Juillet consommait une indigne trahison; et vite l'émeute ! Deux à trois cents patriotes vont au Palais-Royal, y insultent le roi, puis se dirigent vers l'Hôtel des Capucines encriant : Vive la Polo- gne! A bas les ministres! Bientôt des pierres volent dans les vitres. De là, on se porte vers le boulevard Saint-Denis; une boutique d'armurier se trouve sur la route, on la pille. Ce fut le menu de la journée; le lendemain, selon l'ha- bitude, continuation. Ces mauvais mélodrames avaient tou- jours plusieurs actes. Les groupes se portèrent de nouveau vers l'Hôtel des Affaires étrangères. Pendant qu'ameutés de- vant la grille, ils poussent des cris menaçants, une voiture sort, dans laquelle on reconnaît M. Casimir Perrier, prési- dent du conseil, et un autre ministre. L'équipage enveloppé et arrêté un instant, parvient à se dégager, grâce à quel- ques paroles fermes du ministre. Mais les émeutiers se ra- visant presque aussitôt, s'excitent à poursuivre leur ennemi; et les voilà qui se précipitent sur ses pas, et le rattrapent à la place Vendôme. Cette fois ou barre le passage aux chevaux, et les apostrophes les plus violentes retentissent autour delà voiture. M. Casimir Perrier met pied à terre, et s' adressant à la populace:
«Que demandez-vous? dit-il; les ministres? les voici!
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Maintenant vous autres, qui ètes-vous? Que voulez-vous, prétendus amis de la liberté, qui menacez les hommes char- gés de l'exécution des lois? »
Ces paroles, ce ton de fière assurance, brisèrent l'audace des malfaiteurs. Ils se rangèrent, et le courageux fonction- naire passa, comme le maître passe au milieu des dogues, dont l'œil louche s'abaisse sous son regard dominateur.
Un instant ils restèrent comme écrasés sous cette tarai hautaine; puis se réveillant à l'aiguillon de l'orgueil et du dépit, ils se répandirent dans Paris, envahirent les théâtres, qu'ils sommèrent de fermer en signe de deuil, et bientôt se mirent à arracher des pavés à l'entrée du faubourg Mont- martre. Il fallut un certain déploiement de forces pour les disperser. Pendant deux jours encore, il y eut réminis- cence d'émeutes; c'était la houle après que la vague est tombée.
En novembre 1831, M. Gisquct est nommé préfet de police. Dans les seize mois écoulés depuis la révolution, trois préfets s'étaient succédés : MM. Giroddc l'Ain, Bande et Vivien; M. Gisquet faisait le quatrième. Ces changement dans la direction de la préfecture, joints au sentiment (Vin- décision et de mollesse des fonctionnaires sortis de la ré- volution, sont certainement pour beaucoup dans l'audace et la persévérance des anarchistes. Plus ou moins, les trois premiers préfets de 1830 avaient fait de Tordre avec du de- sordre, pour employer le mot du préfet de la Reforme, c'esl- à-dire qu'ils n'avaient pas voulu, su, ou pu faire de l'ordre pur et simple. Le métier des Sartines et des Fotiché ne de- mande pasque du bon vouloir; il veut une habileté réelle, un zèle soutenu, une activité infatigable; aux moments dif- ficiles, il exige un homme hors ligne. Certes, jamais dislo- e;ilion de la société ne fut plus grande qu'après notre pre-
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mière révolution; cependant nous voyons presqu'aussitôt les éléments d'ordre se rapprocher et reprendre leur assiette; cela grâce aune réaction naturelle, et puis à la profonde habi- leté d'un homme de police, M. le duc d'Otrante. Napoléon, homme de coup d'oeil, et sachant bien que l'art de gouverner c'est l'art de mener, s'adressa avant tout à deux hommes quand il voulut devenir le maître : au prince de Talleyrand, meneur de chancelleries, au duc d'Otrante, meneur de mul- titudes. La police, en effet, n'est pas une simple affaire de surveillance et de compression; ce doit être l'initiative et la direction de l'esprit public. Tous ces hommes souples, tins, clairvoyants, qui fouillent chaque jour dans les secrets de la vie et connaissent si bien l'être humain, qui empêche d'en faire les conducteurs en même temps que les inspecteurs delà foule? Qui empêche leur chef, cet homme omniscient, de mettre à propos un contrepoids aux écarls de l'opinion, et de tenir toujours la raison publique en équilibre? Il doit y réussir, s'il est homme supérieur, exercé au métier, et libre de son action. Par ce dernier point, nous entendons dire que les fonctions actuelles sont trop restreintes, et que pour être vraiment efficace, l'action de la police devrait s'é- tendre à la fois sur toute la France. JNous croyons qu'en des moments comme ceux où nous sommes, le rétablissement du ministère de la police rendrait la force de surveillance et de direction beaucoup plus intense et plus active. Qu'ar- rive-t-il dans l'état de choses actuel? Que le ministre de l'intérieur, simplement homme d'administration ou de va- leur parlementaire, se trouve mis inopinément à la tête d'une partie qui demande une longue pratique, une apti- tude particulière; et puis qu'un service capital devient chose accessoire parmi ses autres attributions, lien résulte, d'une part, défaut de tradition et de capacités spéciales; de l'ati-
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tre, insuffisance ou mollesse dans le ressort de la machine. Puisque les partis ne t'ont qu'un dans Paris et la province, pourquoi scinder la surveillance? Puisque l'unité est le pre- mier principe de la force, pourquoi la mettre là où elle risque d'être mal établie? Pourquoi livrer ensuite à un fonc- tionnaire, déjà surchargé, un service qui réclame à lui seul toute l'activité d'un homme de génie? Parce l'ait que les complots de Paris se ramifient en province, les ramifica- tions de la police de Paris s'étendent forcément aux dépar- tements; il arrive même fort souvent que les préfets sont instruits de ce qui se passe chez eux par des renseignemeul obtenus dans la capitale; or, ces renseignements ont dû passer par le ministère de l'intérieur avant de parvenir à leur adresse, ce qui est une perte de temps, chose grave dans la question, et une formalité inutile, point qui a aussi son importance. En outre, il peut s'élever un désac- cord, une différence de vues entre le ministre et le préfet de police; la netteté des résolutions en souffre, et l'inférieur doit céder au supérieur, quoique celui-ci soit en meilleure }>osition de voir et de juger.
Au point de vue de cette impulsion que la petiot pour- rait et devrait imprimer à l'esprit des multitudes, l'incon- vénient de l'organisation actuelle n'est pas moindre. Le pré- fet de police a entre ses mains la léle du pays et n'a paslu> membres; il est l'agent principal, et quand il a l'ail peser son action sur le centre, il faut qu'il aille référer et s'entendre avec un chef pour la faire parvenir aux extrémités. (!e qu'il pourrait faire simultanément et avec coordination, il faut le faire en détail, avec des tiraillements et en pestant par une filière inutile.
La création d'un ministère de la police ne nous parait pa> une nécessité absolue, mais dans de certains moments de
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fièvre et de désorganisation, il nous semble que son efficacité serait considérable. Aujourd'hui, par exemple, ce moyen atteindrait plus vite que tout autre, à notre avis, un but que tous les esprits droits poursuivent : la destruction du socia- lisme. Voici les points sommaires de l'organisation que nous voudrions voir établie : un ministre de la police, surveillant et conduisant l'esprit public dans toute la France; sous ses ordres des commissaires généraux dans les principaux cen- tres de population; ces fonctionnaires, agissant avec l'aide, mais en dehors de l'autorité des préfets et de leurs subor- donnés, lesquels se borneraient à la besogne administrative; puis, sous les commissaires généraux un commissaire central dans chaque ville de quelque importance. Les commissai- res généraux, tirés de Paris, et éprouvés dans le métier, auraient des fonds secrets et emmèneraient avec eux de bons agents avec lesquels ils fonderaient une police en pro- vince, chose qui n'existe pas. 11 y aurait les agents de ville et les agents de campagne. Le rôle de ces derniers surtout devrait être tracé avec un soin intelligent; le côté de sur- veillance ne serait pas le plus difficile de leur tâche, le point épineux consisterait à détruire chez les gens simples les idées mauvaises, et à ruiner l'influence des démagogues. Ce tra- vail généralisé, appuyé par beaucoup de moyens dont il est inutile de publier le détail, et dirigé par une tète large et résolue, mettrait le socialisme aux abois avant un an. 11 faut bien se persuader en effet, que cette doctrine n'est pas en- racinée dans le pays; elle n'a pour principaux disciples que des sots ou des fripons, et ne s'est développée que dans un moment de subversion morale et de faiblesse de l'autorité; c'est une épidémie contre laquelle il faut se précautionner grandement, mais dont on aura le bout dans un temps donné, si l'on employé des moyens intelligents et énergi-
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ques. La police savamment et largement organisée, serait le plus sûr de ces moyens.
CHAPITRE VII.
Complot des tours Notre-Dame. — Proies des Amis efa Peuple. — MM. BôB-
nias, Raspail, Blanqui, Antony Tliourct. — Les chefs des sociétés popu- laires sont débordés. — MM. Rittiez, Toussaint Bravard, Cah&igne, Avril, Inibert.
Au commencement de 1832, la Société des Amis du Peu- ple avait la direction principale du parti républicain. U res- tait bien encore, marcliant à part, les réclamants de Juillet. commandés par M. O'Rcilly; la Société Gauloise, sous la di- rection de M. Thielmans, et des groupes sous diverses dé- nominations; mais la prépondérance des Amis du Peuple était admise et respectée.
M. Casimir Perricr prit à leur égard, en arrivant aux affaires, des mesures de rigueur qui avaient atteint une partie de leur but; c'est-à-dire que la conspiration avait été forcée de rabatlrc de son audace et au moins de ne plus s'é- taler au soleil; mais le travail, pour ne pas être aussi ap- parent, n'en fut pas moins ardemment continué. La propa- gande se faisait par discours, articles de journaux, et sut tout par broeburcs; l'emploi de ce dernier moyen était poursuivi avec un zèle extraordinaire.
Du reste, quoique devenue société secrète, depuis qu'un arrêt l'avait dissoute, l'association n'avait pas cette organi- sation et cette discipline qui caractérisaient le carbonarisme et que nous retrouverons plus tard. Jusqu'à un certain point les séances pouvaient encore passer pour publiques; puisque
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la plupart des discussions étaient publiées; toutefois, le co- mité n'avouant qu'une propagande morale, et les sections ayant soin d'éviter les réunions au-dessus de vingt person- nes, il en résultait une sorte de légalité dont les tribunaux d'alors se contentaient.
Unis dans leur but, le renversement de la royauté, les Amis du Peuple étaient loin de s'entendre sur la marche à suivre, et surtout sur l'heure de la bataille. Dans les émeutes qui fatiguent Paris depuis Juillet, il y a certainement un plan d'agitation prémédité, mais il ne faudrait pas en imputer l'odieux à certains chefs d'un esprit grave, tels que MM. Ca- vaignac et Guinard; ce sont des meneurs subalternes qui l'ont conçu et l'exécutent avec une persévérance détestable. La tète, répétons- le, ne conserve l'influence dans les sociétés secrètes qu'à la condition de subir la tyrannie de quelques écervelés, toujours avides de brusquer le dénouement. Ce sont ces hommes qui, dès les premiers jours de 1832, im- patients d'en finir, déclarent les émeutes vaines et réclament uue descente en masse. Grisés par le bruit des clubs, aveu- glés par leur exaltation, ils se persuadent que tout Paris est à eux, et qu'ils n'ont qu'à paraître pour faire crouler le gou- vernement. En vain quelques républicains leur montrent sérieusement les choses, leur font voir que la bourgeoisie apprécie le nouveau règne, que la grande masse des ouvriers ne veut que la paix qui assure le salaire; les casse-cou mur- murent, et ne tardent pas à faire scission. Alors, comme ils sentent leur impuissance et leur isolement, ils rêvent des complots et se mettent en tète d'entraîner la population par quelques moyens désespérés. L'afl'aire dont nous allons dire un mot, est le résultat d'une de ces résolutions.
M. (iisquet raconte, qu'à peine entré en fonctions, il fut averti d'un complot dont le signal devait être l'incendie des
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— lit) —
Tours de Notre-Dame. A la lueur des flammes dévorant une (h< merveilles de Paris, des bandes de conjurés devaient se répandre dans les rues et appeler le peuple à la révolte. L'homme de l'incendie était M. Considère, assisté de six edersu mènes de dix-neuf à vingt ans. Parmi les chefs char- stès d'agir au dehors.se trouvaient M. Pelvillain, bien connu depuis dans les conspirations de cabaret, et Napoléon Chan- ce!, contumace du procès de Bourges l!Si!». L'affaire était arrêtée pour le 2 janvier. Ouoique se refusant à croire a ce projet sauvage, .M. Gisqnet, persuadé que le scepticisme est fort mauvais en police, tint compte de l'avis et prit ses me- sures. Le jour lixé, une surveillance rigoureuse fut établie, et tout fut disposé pour saisir les coupables sur le fait; mais on ne vit rien paraître. La vieille basilique s'endormit comme d'habitude, échappant à l'auréole sinistre dont on la mena- çait. Le préfet jugea que l'odieux projet avail été, ou beau- coup exagéré, ou simplement invente. 11 savait que, dans les bas fonds des partis, il v a journellement des rêveries d'assassinat et de destruction qui, fort heureusement, meu- rent dans les bouges où elles prennent naissance. Le .'!, même calme autour de l'église; on resta convaincu que l'a- lerte était fausse, et on ne s'en inquiéta pas davanl Cependant, voilà que le I, vers 3 heures du soir, le bourdon de Notre-Dame tinte à coups précipites, et reveille les alen- tours. Presque aus>iiôt la police est avertie que le complot du 2, ajourné pour des causes inconnues, venait d'éclater. L'individu qui apportait celle nouvelle était de la conspira- tion,et ajoutait que les conjures avaient pour eux seize cents républicains et six régiments.
Les seize cents républicains étaient un de ces mensonge» calculés dont les partis sont toujours tort prodigues. Les so- ciétés populaires reunies n'atteignaient pas ce chiffre, et il
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est bien certain que tontes ne trempaient pas dans cette abo- minable machination. Quant aux régiments, ici surtout les conspirateurs prenaient la partie pour le tout. Nous aurons occasion de montrer plus d'une fois que les troupes, soi- disant gagnées par les démocrates, se composent de quelques soldats ignorants ou ivrognes, qu'on endoctrine momenta- nément avec de belles paroles ou des verres de vin.
Des brigades de sergents de ville partirent au galop pour la cathédrale; ils apprennent du gardien qu'un coup de pis- tolet vient d'être tiré sur lui et que l'escalier est barricadé. Les sergents renversent l'obstacle et se trouvent en face d'in- dividus qui font feu et se sauvent; on les poursuit et on les voit du haut des galeries jeter sur la place des poignées de proclamations; bientôt six d'entre eux sont arrêtés. Mais la force publique est arrivée trop tard pour empècber un com- mencement d'incendie; le feu a été mis à la charpente de l'une des tours, qui s'embrase et menace d'une catastrophe; heureusement de prompts secours arrêtent le danger.
A ce moment on voyait se glisser, le long des ruelles de la Cité, des groupes gagnant Notre-Dame et se rendant ati rendez-vous. MM. Pelvillain et Ghancel étaient à leur tête. Découverts et cernés par les troupes, ils furent pris avant de savoir à quoi en était leur abominable entreprise.
Ou avait appris, par le gardien, que sept individus avaient pénétré dans les tours, il en restait donc un à trouver; c'était M. Considère, le plus important. Il fallut trois beures de recherches pour le découvrir, et on reconnut qu'il avait mis le feu à l'endroit où il s'était réfugié.
M. Considère était l'inventeur et fut le héros de cette mi- sérable allaire. C'était alors un homme tout jeune comme ses complices* d'une exaltation insensée, et d'une énergie furibonde. Aujugcqui lui demandait sa profession, il répéta-
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dit : émeutier. Après le prononcé de l'arrêtqui le condamna à cinq ans de prison, se levant d'un air farouche, il cria au président : « On t'en donneia des cinq ans de prison et des « frais ! Je te paierai sur la caisse de Louis-Philippe. »
Les patriotes appelaient cela soutenir vaillamment une cause. Nous n'argumenterons pas sur cette qualité d'emeu- tier que t'attribuait M. Considère; nous pouvons dire seu- lement qu'il ne se vantait pas; Paris possédait alors des gens dont l'unique profession était de faire des émeutes.
Par cette affaire, ou a une idée de la violence de quelques séides. Au tour des docteurs du parti maintenant. Dans les audiences des 10, 11 et 12 janvier 1832, les chefs dont voici les noms : MM. Raspail, Gervais de Caen, Blanqui, Anton) Thouret, Hébert, Trélat, Bonnias, Milieux, Pla- gnol, comparaissent en justice, pour rendre compte de- diverses publications de la société. Des extraits de ces impri- més sont inutiles; on va s'en faire une idée par la défense des prévenus. Après M. Raspail, qui débute par des injures contre le roi, vient M. Blanqui, le [uel,déjà plein de ses ré> - et de ses haines, fait un discours pour pousser le peuple à la subversion sociale :« Ceci, dit-il, est la guerre entre les « riches et les pauvres; les riches l'ont voulu, parce qu'ils « ont été les agresseurs; les privilégiés vivent grassement « de la sueur des pauvres. La chambre îles Députés est une u machine impitoyable qui broyé vingt-cinq millions de « paysans et cinq millions d'ouvriers, pour en tirer la sub- it slance qui est transfusée dans les veines des privilégiés. « Les impôts sont le pillage îles oisifs sur les classes labo- « lieuses. »
Point n'est besoin de faire remarquer la sottise calculée de cette phraséologie, si ardemment remise en honneur de nos jours. M. Blanqui, du veste, dont les rouges actuels se
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sont faits les plagiaires, n'était lui-même que le copiste des niveleursde 93.
M. Bonnias arrive ensuite; il pérore contre la tyrannie, la liste civile, les escamoteurs de révolutions, les assommeurs, les mouchards et beaucoup d'autres choses. MM. Gervais et Thouret font chorus, appuyant l'un de sa bile chicanière, l'autre de sa faconde ampoulée, la déclamation de leur ca- marade. C'est un assaut d'insultes aux chefs du gouverne- ment, au tribunal, à la loi, et aux règles du bon sens.
Tous les prévenus sont acquittés sur le chef d'accusation, car on n'a pu prouver qu'ils étaient les auteurs des écrits; mais en raison de leur conduite à l'audience, ils sont con- damnés : MM. Raspail et Bonnias à quinze mois de prison, Blanqui à un an, Gervais ( de Caen ) et Antony Thouret, à six mois. Ce dernier, en se retirant, jeta emphatiquement une menace au tribunal : « Nous avons encore des balles dans nos cartouches! » s'écria-t-il.
C'était un avertissement dont le pouvoir n'avait pas be- soin. L'audace des républicains avait réveillé d'autres partis qui, d'accord dans une pensée commune de renversement, commandaient à l'autorité une surveillance rigoureuse. D'ailleurs, mille circonstances fortuites, ou préparées, aug- mentaient chaque jour l'excitation et l'espoir des révolu- tionaires. Aujourd'hui, il s'agissait d'un procès scandaleux, demain d'un livre furibond; un jour, des paroles d'anar- chie tombaient de l'Assemblée nationale, où les Amis du Peuple comptaient, comme membres ou patrons, une dou- zaine de députés : MM. Cabet, de Ludre, Lafayette, La- marque, Audry de Puyraveau, Laboissière, Dupont ( de l'Eure ); un autre jour, c'était l'émeute en province. Au mois de novembre, les ouvriers de Lyon, pour une cause non politique et tout en protestant de leur soumission au
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roi, s'étaient emparés de la ville, entraînant le préfet à des concessions compromettantes; au mois de mars suivant, à la suite d'une mascarade odieuse, les mauvais sujets de Grenoble s'insurgent, parviennent à maîtriser la faible gar- nison et t'ont également capituler les autorités. Les Amis du Peuple, qui avaient une affiliation dans cette ville, contri- buent pour beaucoup à cet échec du pouvoir.
Dans un pareil milieu d'excitations, et avec l'impatience d'arriver vite et de distancer leurs rivaux, les napoléoniens et surtout les légitimistes, on peut juger si les républicains avaient la fièvre et étaient prêts à une explosion.
Les hommes sérieux du parti voyaient clairement deux choses: qu'une insurrection ne réussirait pas, parce qu'elle serait combattue par la bourgeoisie, et que cette insurrec- tion devenait cependant inévitable. 11 est \\n moment dans les conspirations où la force des chose? pousse irrésistible- ment à une solution. Pour se faire des prosélytes, les chefs exagèrent le chiffre de leur armée, tendent l'esprit d'in- surrection, et grisent les têtes de l'idée d'une bataille pro- chaine. Tous ces points sont pris au sérieux; on les rappelle aux embauchent'*, d'abord doucement, puis avec aigreur, enfin avec menace, et le jour arrive où le comité doit don- ner le signal sous peine de passer pour traître. Nous ver- rons cette situation se produire plusieurs fois.
Or, les personnages M'aiment considérables de la société, les directeurs, inspirateurs ou patrons, parmi lesquels nous placerons les hommes comme M. Cavaignac, le général La- fayétte, etc., se trouvaient dans le cas que nous venons de signaler. Non pas que nous leur imputions précisément la responsabilité d'assertions ou de promesses mensongères, mais ces leurres avaienl été offerts à la foule qui en deman- dait compte aux chefs les plus élevés. Comme ceux-ci étaient
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assez sages pour ne pas flatter un espoir qu'ils ne parta- geaient que médiocrement, leur influence ne pouvait tarder à décroître pour faire place à celle des meneurs subalternes, gens ayant peu à perdre et dès lors beaucoup à risquer. C'est ce qui arrive dans les premiers mois de 1833. Les hommes qui prennent alors la direction active sont des cons- pirateurs d'ordre secondaire, la plupart d'intelligence mé- diocre, de maigre influence et sans position sociale. Si Ton tient à connaître les principaux, voici leur silhouette :
M. Rittiez, rédacteur du Censeur de Lyon; révolution- naire doucereux et un peu crédule, à la façon de M. Dupoty; s'épouvantant et criant à la provocation quand les logiciens de la rue veulent traduire ses phrases à coups de fusil.
M. Toussaint Bravard, le type de l'étudiant qui n'étudie pas; buveur, phraseur, batailleur; César de Bazan du quar- tier Latin; cassant les poupées au tir; se colletant avec les sergents de ville; de grandeforce sur le billard et la danse de la Chaumière; le premier dans toutes les parties échevelées, le dernier aux cours; ayant à grand'peine, dans sept à huit années de séjour à Paris, obtenu un diplôme d'officier de santé. Au fond, esprit sans portée, caractère sans va- leur; ex-constituant muet.
M. Cahaigne, bon homme, dévoré depuis trente ans d'une envie, celle de faire croire à un talent littéraire et po- litique que personne n'a jamais eu le courage de prendre au sérieux. Ex-rédacteur de la Commune de M. Sobrier.
M. Félix Avril, secrétaire des Amis du Peuple. L'éternelle formule: Félix Avril, secrétaire, répétée chaque jour au bas des imprimés de l'association, avait fini par transformer en personnage un jeune homme extrêmement insignifiant. Jusqu'en Février, il fut une des mouches du coche démo- cratique. A cette époque, M. Ledru-Rollin le prit employé
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aux bagages du chemin de fer de Rouen, pour le faire préfet du Calvados.
M. Bergeron, connu par le coup de pistolet du Pont- Royal. Cette affaire a beaucoup plus fait de bruit que les pe- tits travaux littéraires auxquels il se livre dans le Siècle, sous le nom d'Emile Pages.
M. Charles Teste, ami de Babeuf, dont il avait transfusé les doctrines dans le carbonarisme; conspirateur demi-sécu- laire et peu bruyant; couvant dans l'ombre, avec un petit noyau de sectaires, des convictions farouches, mai* sincères du reste, homme probe et désintéressé.
M. Danton, n'ayant jamais eu, à ce qu'il semble, d'autre mériteque sa parenté avec le terrihle orateur révolutionnaire.
M. Delescluze, libelliste obscur et de caractère équivo- que. Un des hommes qui l'ont connu, .M. Sobricr par exem- ple, racontait de lui avant Février des anecdotes qui ne figureront jamais dans les histoires édifiantes. Son genre, comme écrivain, est une espèce de pugilat grossier qui n'a pas de nom en littérature.
M. Imbert, fondateur du Peuple souverain de Marseille, commis-voyageur en vins, commandant des Tuileries, l'un des inspirateurs de Risquons-Tout, courtier de conspira- tions; personnage très remuant et très peu estimable.
11 y avait encore M. Adam, M N. Lebon, M. Aubert- Roche, M. Plagnol, M. Madet, M. Fortoul, M. Cannes, .M. Sugier, M. Lebœuf qui n'ont rien de remarquable. Les uns avaient une grande exaltation, les autres une grande présomption; tous une grande ambition.
La plupart de ces hommes subissaient la pression désor- donnée des sociétés populaires, et se laissaient persuader (pie l'heure du combat était arrivée. H ne s'agissait plus que de coordonner les forces et de trouver une bonne occasion.
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CHAPITRE VIII,
Emeute des chiffonnier?. — Le choléra et les prétendus empoisonneurs. — Crédulité du peuple. — Odieuse machination des républicains. — Le parti légitimiste. — Affaire de la rue des Prouvaires. — Un écrivain patriote.
Dans les premiers jours d'avril 1832, l'affaire des chif- fonniers et celle des prétendus empoisonneurs réveillèrent rémeute dans Paris. L'intérêt d'une classe d'industriels, l'ignorance de tout le bas peuple étaient en jeu; quelle plus belle mine à exploiter ? Les républicains profitèrent avide- ment de leur bonne fortune.
Quelques mots sur la cause des troubles.
L'entreprise des boues ayant fini son bail, la nouvelle, accordée à l'adjudication, selon les formes, fut mise en de- meure de fonctionner. Le cahier des charges lui accordait le droit de faire passer une voiture le soir, pour enlever le plus gros des immondices, et abréger la besogne du lende- main. Ce droit privait les chiffonniers d'une bonne partie de leur butin; de là une grande exaspération parmi eux. Ils s'ameutent, arrêtent les tombereaux de la nouvelle adminis- tration, les brisent et les jettent à l'eau; quelques charre- tiers y sont précipités avec leurs voitures. C'est le début de l'émeute. Le lendemain elle, se complique de prétendus em- poisonnements, dont le choléra inspire l'idée, et que la cré- dulité populaire, poussée parla peur, accueille aveuglément. Des scènes qui font reculer notre civilisation consternent Paris. Le fait d'avoir sur soi une bouteille, fiole ou vase quelconque, donne lieu à des soupçons qu'une parole trans-
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forme en arrêt de mort. Place du Caire, un employé est massacré pour avoir soi-disant versé du poison dans les brocs d'un marchand de vins; un autre est mis en pièces au quar- tier des Halles; un troisième, assassiné place de Grève, est jeté à Veau. M. Gisquet assure qu'un quatrième fut arraché du poste de l'IIotel-de-Ville par un forcené qui l'assomma et le donna à dévorer à son chien !
Ces choses se passaient en 1832! L'on se rappelle qu'après juillet 1830, l'extrême modération, l'extrême sagesse du peuple n'étaient pas moins vantées que son extrême cou- rage; or, ce qui précède n'est ni plus ni moins qu'une ineptie féroce. Qu'es conclure? Que les flatteurs des petits et les flatteurs des grands sont absolument de la même espèce; ils louent quand même, à tort et à travers. Ce n'est pas l'objet mais le fruit de leurs flagorneries qu'ils considèrent.
Notez que cette démence hideuse qui transformait un fléau trop réel en un empoisonnement général, avait saisi toute la basse classe de Paris. Des faits étranges, dont nous allons donner l'explication et mettre la responsabilité sur qui de droit, laissent comprendre que quelques \ieillcs femmes aient pris l'alarme; mais la créance générale des faubourgs à une machination absurde et infâme, ne prouve certes pas en fa- veur de la raison populaire. Qu'on ne se trompe pas sur nos intentions : nous n'insultons pas le peuple; seulement nous n'exaltons pas ses infirmités, nous les plaignons; dire à la plèbe qu'elle est parfaite, comme on le fait chaque jour, est une platitude criminelle. Nous insistons, parce qu'il faut bien savoir que cette race des bas quartiers, ignorante, gros- sière, farouche, joue le principal rôle dans nos révolutions; c'est elle qui forme le gros delà soldatesque des rues. Ainsi la France est condamnée a saluer, chapeau bas, des gou- vernements crées par ces hommes qui assomment bête-
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ment des empoisonneurs supposés et font manger les cada- vres à leurs chiens.
Ce qui avait pu troubler la cervelle des vieilles femmes, le voici : l'on va voir que si la crédulité du peuple alla jus- qu'à l'imbécillité, le patriotisme de certains hommes fut poussé jusqu'à la scélératesse. D'abord, un fléau inconnu et aussi terrible que le choléra, était de nature à répandre l'épouvante; ensuite, il est prouvé que des semblants d'em- poisonnemenls eurent lieu. Dans le faubourg Saint-An- toine, des individus jettent un paquet de drogues dans un puits et se sauvent à la hâte au milieu d'un groupe, où ils changent d'habits et disparaissent; des malheureux se rou- lent dans les rues criant qu'ils sont empoisonnés; on trouve ici des bonbons colorés, là du tabac saupoudré d'une ma- tière blanche, ailleurs des pièces de vin couvertes d'une pâte rougeàtre. Vérification faite, la pâte rougeàtre est du savon; la matière blanche de la farine; les bonbons colorés des dragées ordinaires. Les hommes se disant em- poisonnés, ou sont réellement atteints du choléra, ou simu- lent des convulsions. Quant au puits du faubourg Saint- Antoine, son eau, soigneusement examinée, est reconnue d'une salubrité parfaite.
Mais ces hommes qui se disent empoisonnés, ou répan- dent des matières soi-disant empoisonnées, ce n'est point une illusion, ils existent; leur présence se révèle dans un grand nombre d'endroits. C'est qu'il y a eu effectivement complot pour faire croire à l'empoisonnement général du peuple; et comme le peuple, d'après les belles idées qu'on lui inculque, ne saurait imputer un pareil crime qu'au gou- vernement, et que le résultat de cette accusation horrible ne pouvait profiter qu'aux partis; nous déclarons que les par- tis en sont responsables. Ko doute-t-on? voici des preuves.
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Dans une proclamation, jetée au milieu de l'émeute, on lisait ce qui suit: « Depuis bientôt deux ans, le peuple est a en proie aux angoisses de la plus honteuse misère; il est « attaqué, emprisonné, assassiné. Ce n'est pas tout, voilà « que, sous prétexte d'un fléau prétendu, on l'empoisonne « dans les hôpitaux, on l'assassine dans les prisons. Diman- « ehe, c'est un fait avéré, une nuée de mouchards ont pénétré « dans la prison de Ste-Pélagie; ces scélérats ont fait feu sur 0 les patriotes détenus. 0 honte! 0 crime ! juste ciel, jusques a à quand tes décrets doivent-ils enchaîner nos bras? (Juel a remède à nos maux? Ce n'est pas la patience, elle est à « bout; ce ne sont plus des émeutes insignifiantes, si faciles « à réprimer, c'est au moyen des aimes qu'un peuple gagne « et maintient tout à la fois sa liberté et son pain. Que la « torche, la pique, la hache, nous ouvrent donc un passage! « 11 n'y a plus de milieu, c'est en détruisant le repaire de « tous les brigands qui conspirent notre ruine, et en pur- « géant la société des monstres qui l'infectent, que le peuple a pourra respirer un air libre et pur. Aux armes! aux « armes! »
Cette pièce, comme on le voit, n'a pas le tort de l'hypo- crisie; c'est la prédication ouverte de l'incendie, de la des- truction et du carnage. Sans nous arrêter à toutes les idées de ce morceau, constatons que les révolutionnaires y sou- tiennent l'idée des empoisonnements; remarquons ensuite cette déclaration importante que les chefs ne veulent plus d'émeutes insignifiantes, ainsi qu'ils disent, mais une bonne levée en masse, avec torche, pique et hache; une- tuerie générale éclairée par un incendie à la Néron. Or, cette se- conde idée devait, d'après leurs calculs, tirer sa réussite de la première. Ils comptaient tromper la crédulité, exaspérer l'ignorance du peuple, au point de le porter à une de ces
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colères qui brisent les gouvernements. Là proclamation n'est pas la seule preuve de ce plan; le fait appuya les paroles; un commencement d'exécution eut lieu. Le 1er avril, 200 hom- mes des sections attaquent Sainte-Pélagie du dehors) pen- dantque lesprisonniers se révoltent et cherchent à s'emparer des gardiens. La troupe arrive, pénètre dans la prison, et éprouve une telle résistance qu'elle est obligée de faire l'eu pour étouffer la mutinerie. Un prisonnier, nommé Ja- cobeus, fut tué. L'attaque du dehors était commandée par un chef farouche du nom de Valot, qui fut condamné aux travaux forcés.
Les journaux républicains avaient soutenu les chiffon- niers, et accordé beaucoup de créance aux bruits d'empoi- sonnement; quant à la révolte de Sainte-Pélagie, ils décla- rèrent que c'était un coup de M. Gisquet, qui avait essayé de faire ses journées de septembre. Cette imputation témoi- gne de la haine extravagante qu'inspirait le courageux magistrat. Au reste, M. Gisquet n'était pas le seul à pro- voquer des sentiments pareils. Le 14 mai 1832, M. Casimir Perrier meurt du choléra; le 17 on lit dans la Tribune i « A la « nouvelle de la mort du président du conseil, les détenus « politiques soussignés, carlistes et républicains, ont una- « nimement résolu qu'une illumination générale aurait lieu « ce soir à l'intérieur de leurs humides cabanons.
« Signé : Baron de Schauenbourg, Roger, Toutain , Lemesle , henriquinquistes; Pelvillain, CoNsiDÈRE,DEGANXE, répu- blicains. »
Que l'on ne s'étoune pas de cet accord de quelques légiti- mistes avec les républicains, dans leurs humides cabanons; l'entente existait aussi au dehors. Non pas que la partie
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sérieuse de l'opinion ait prêté les mains à une pareille monstruosité, mais il y avait alors, dans une certaine ré- gion du parti, des hommes impétueux et impatients qui se laissaient emporter au-delà du respect qu'ils devaient à leur passé.
Pour compléter le tableau des événements de celte épo- que, nous allons reprendre brièvement les actes du parti légitimiste depuis Juillet.
Après chaque révolution, il \ a chez nous un enthou- siasme si bruyant, une telle infatuntion pour la cause triom- phante, que la cause vaincue disparait et semble s'anéantir. Cet état de choses dura pour le parti légitimiste jusqu'au milieu de février 1831: A cette époque, un service funèbre qu'il lit célébrer pour le repos de l'àme du duc de Bcrry, donna lieu à une manifestation républicaine dont le résultat fut la dévastation de Saint-Germain-l'Auxerrois et le sac de l'archevêché. Le service devait avoir lieu à Saint-Roch, le curé refusa son égïïse; celui deSaint-Germatn-l'Auxerrois prêta la sienne, jugeant qu'il ne lui appartenait point de re- fuser des prières pour un prince assassiné. Un catafalque fut dressé et l'office eut lieu. Vers la lin de la cérémonie, un jeune homme s'avançanl vers le catafalque, y déposa une gravure représentant le duc de Bordeaux et une couronne d'immortelles. Des femmes se disputaient les morceau* de celte couronne, et des hommes détachèrent lems décora- tions pour les placer auprès de l'image. L'autorité intervint et lit arrêter le jeune homme avec quelques légitimistes. La justice étant mise en demeure, il semblait que les choses dussent en rester là; mais une troupe de républicains, avertis par des émissaires, accourent en furie, se précipitent dans l'église et ne se retirent qu'après l'avoir mise à sac. Le len- demain, encore échauffés de cet exploit, ils se portent sur
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l'archevêché, l'envahissent, brisent les meubles, les objets (fart, les boiseries, jettent le tout à la Seine et laissent le palais dans un état complet de dévastation. Les quatre murs à peine restent debout.
Six mois après éclate la conjuration connue sous le nom d'Affaire des Prouvaires. Le journal la Révolution, rédigé par M. Antony Tliouret, déclara que « c'était un simple « repas d'amis, dans lequel l'intervention inconvenante de « la police avait excité une rixe. » Le lecteur va juger du fait ei apprécier l'heureux choix d'expressions du journa- liste républicain.
Depuis quelque temps, un vaste plan était conçu, ten- dant à rétablir les Bourbons de la branche aînée. Mmc la duchesse de Berry en était l'inspiratrice et l'héroïne. 11 était convenu que la princesse débarquerait dans le Midi, où son arrivée serait le signal d'un soulèvement préparé d'avance; que de là elle se rendrait dans l'Ouest, quartier-général de l'armée légitimiste, et que ces mouvements seraient appuyés par un coup de main sur Paris. L'agent principal de Mme la duchesse dans la capitale était le maréchal duc de Bellune. Il correspondait directement avec l'auguste conspiratrice, et en recevait des fonds destinés aux conjurés. Sous les or- dres du maréchal, fonctionnait un comité, composé de douze membres, parmi lesquels : MM. le comte de Florac,le baron de Maistre, le duc de Rivière, le comte de Fourmont, le comte de Brulard, Charbonnier de la Guesnerie. Chacun de ces chefs supérieurs commandait un arrondissement; et avait sous ses ordres quatre chefs de quartier, lesquels agis- saient sur une escouade de dix hommes qui, à leur tour; avaient mission de se créer chacun un groupe dont l'ensem- ble devait former le corps d'armée.
L'embauchage marcha vite; un grand nombre de sol4-
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clats de la garde, de Suisses et d'anciens employés, se prêtè- rent facilement à un projet qui devait les faire rentrer dans leurs positions; quant aux ouvriers, on les attira par une prime d'enrôlement. Du reste, il se mêla un peu de tout à cette conspiration, jusqu'à un général bonapartiste, M. Mon- tholon.
M. Louis Blanc, dans son désir de prendre la police en faute, prétend que le gouvernement fut très mal renseignésiu cette affaire; il en donne pour raison que des agents chargés de la surveiller, s'étaient vendus et très sincèrement dévouée aux chefs légitimistes. Ce sont là des historiettes bonnes à amuser des enfants. Si M. Louis Blanc avait été préfet de police pendant quinze jours, préfet sérieux, il saurait que l'infidélité d'un agent n'est pas aussi facile qu'il le dil; et que, d'ailleurs, cet agent de mauvaise foi se rend inutile à l'administration sans pouvoir être utile à d'autres.
Une fabrique de poudre était établie à Belleville chez un nommé Grcnet, on la saisit, ainsi que le bailleur de fonds qui l'alimentait; en même temps, pour essayer de rompre les fils de la conjuration, on s'empara d'une vingtaine de chefs les plus remuants; du nombre étaient M. Charbonnier de la Guesncrie, ex-capitaine de la garde royale, et Vale- rius, compromis dans l'affaire Saint-Germain-rAuxerrois. Maison s'était trompé en comptant déjouer le complot par quelques arrestations; quinze jours suffirent à remplir les cadres, et à remettre toutes choses en place.
La police s'assura bientôt que la conspiration prenait le caractère le plus dangereux. Llle eut connaissance, par un fabricant d'armes, d'un marché de fusils qui se traitait entre lui et les conjurés. En outre, elle fut avertie que, dans un conseil tenu par les chefs, l'action avait été résolue pour la nuit du 2 au 3 février. Cette nuit là un grand bal levait
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avoir lieu aux Tuileries. La famille royale, les ministres, les principaux fonctionnaires y seraient; on comptait les prendre tous, et couper ainsi radicalement la direction de l'Etat.
Au jour dit, tout étant préparé, et rien ne faisant soupçon- ner de trahison, les conspirateurs se mirent à l'œuvre. Vers dix heures du soir, des groupes s'ébranlèrent, conver- geant d'une infinité de points vers les quatre rendez-vous suivants : le canal Saint- Martin, la barrière d'Enfer, le boulevard Montparnasse et la rue des Prouvaires. Tous ces détachements étaient porteurs d'armes cachées, et sui- vaient avec précaution, et par des rues désertes, un itiné- raire tracé d'avance. Ceux qui se rendaient à la rue des Prouvaires étaient pour la plupart en voiture. La police, pré- venue de ces mouvements, les laissa s'exécuter, voulant agir simultanément contre chaque colonne réunie. A un signal, de forts pelotons de municipaux coururent aux trois rassemblements des faubourgs, les rompirent, enlevèrent une partie des hommes et dispersèrent le reste. On cite un groupe d'hommes du peuple qui, en se sauvant etïarés, de- mandèrent à une patrouille de les conduire hors de la ville, en leur faisant éviter les municipaux; la patrouille comprit de quoi il s'agissait, et comme elle était trop faible pour ar- rêter elle-même ces conspirateurs ingénus, elle les mena à un poste de ligne qui les mit en lieu de sûreté.
Mais il y avait dans les colonnes dispersées des hommes moins timides, qui ne croyant qu'à un échec partiel, accou- rurent à la rue des Prouvaires, où était la direction, pour avoir des ordres ou au moins des nouvelles. Autant il en arriva, autant la police en saisit dans une souricière qu'elle avait tendue autour du point de réunion.
Un ouvrier bottier, M. Poncelet, était le chef du rassem-
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blement de la rue des Prouvaires; eet homme, parla posi- tion qu'on lui confiait, par le rôle qu'il avait joué dans les préparatifs, el celui qu'il devait jouer dans l'exécution, pouvait passer pour le commandant en chef de la conspira- tion; c'était un homme d'une intelligence peu ordinaire et d'une singulière résolution.
Le lieu de réunion était un restaurant, où un repas avait été commandé pour la nuit. Les principaux conjurés étaient avertis de s'y rendre pour s'armer et prendre les dernières instructions. Vers minuit, la plupart étaient au rendez-vous. On vit bientôt arriver un fiacre chargé de caisses de fusils qui furent apportées dans la salle. Sans perdre une minute, chacun songea à s'armer; mais pendant qu'on procédait à cette opération, la police ayant à sa tète le chef de la police municipale, M. Cartier, tombait au milieu des conspirateurs comme le faucon au milieu des éperviers. Un coup de fusil fut tiré contre le courageux fonctionnaire, mais fort heu- reusement il rata. Alors une mêlée fort chaude s'engagea, où les meubles et la vaisselle volèient de toutes parts; quel- ques coups de feu s'\ ajoutèrent, dont l'un frappa à mort un sergent de ville. La force publique, commandée par un chef résolu et sur de ses dispositions, montra une énergie qui mitlpromptemeni les comploteurs en déroute. Deux cents personnes furent prise? et conduites sur l'heure à la Préfec- ture de police.
M. Poncelet était du nombre, on l'avait trouvé caché dans une cheminée, porteur d'une forte somme en billets de banque et d'une clef ouvrant les grilles des Tuileries.
Le procès constata que douze à quinte cents conjures de- vaient donner, en quatre colonnes, dont le point de jonction était le Louvre. 11 était convenu que la première, sous les or- dres de M. Poncelet, s'introduirait dans les Tuileries par la
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Galerie des Tableaux; tomberait a F improviste au milieu du bal et s'emparerait ou se déferait de la famille royale et des membres du gouvernement; un des eoncierges du Louvre était du complot et s'étaitengagé à livrer l'entrée de la galerie; la seconde devait attaquer par le jardin; les deux autres par le Carrousel. La simultanéité de ces mouvements, beaucoup de mesures particulières qui les appuieraient, l'audace des cbefs, l'organisation du parti dans la capitale et la présence de Madame dans la Vendée, donnaient certainement à cette entreprise un caractère redoutable.
Soixante-six accusés furent traduits en cour d'Assises.
11 v eut deux condamnations à mort, mais contre des con- tumaces, M. Poncelet et cinq autres furent condamnés à la déportation; la même peine fut prononcée contre cinq des principaux conjurés alors en fuite, ainsi contre les comtes de Fourmont et de Brulard; dix-huit autres furent frappés de peines moins graves.
En déclarant que l'affaire se réduisait à un simple repas d'amis troublé par l'inconvenance de la police, M. Antony Thouret se moquait-il de ses lecteurs ou se faisait-il moquer de lui? Le public jugera. Dans les deux cas, il aura la me- sure de la véracité des écrivains patriotes.
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CHAPITRE IX.
Préparatifs d'uMBrreetioU. — Ordre de bataille des Sociétés secrètes. — Dé- nombremeut des Forces. — Les Réfugiés politiques. — Tentative d*aa sinat sur le général Bein. — La jeune Italie. — M. Ifoxsim. — Tribunal secret. — Draine épouvantable.
La descente de M1"" la duchesse de Bei rv à Marseille, vers la lin d'avril 1832, et la levée de boucliers qui s'en suivit dans l'Ouest, prouvent que l'espoir des légitimistes avait survécu à l'échec de la rue des Prouvaires. La police sut bientôt, en effet, qu'un nouveau complot s'ourdissait dans ce parti; mais comme des mesures de vigueur furent aussitôt prises, les chefs importants reconnaissant l'inutilité de leurs efforts, abandonnèrent la partie. Néanmoins, les exaltés du parti républicain, tout en affectant de faire ti des légiti- mistes, ne laissaient pas que de prendre note de leurs mou- vements et de s'en prévaloir, pour précipiter le soulèvement que certaines impatiences rendaient imminent. Dans quel- ques sections des sociétés populaires, il y avait cette fougue furieusedela meute devantla curée. Il devenait impossibledc retenirceshommesà qui l'on avait montré le pouvoir comme une proie assurée. Pour empêcher une explosion, il eut fallu le vélo énergique des principaux chefs. La plèbe révolution- naire, une fois lancée, n'obéit plus qu'à un brutal instinct; mais avant de s'engager, elle veut être bien sûre de ses commandants. Cela s'explique : avant l'affaire, il y a une réflexion qui démontre aux routiers de la rue leur incapa- cité de se conduire; taudis qu'au milieu du feu, quand la poudre, le vin et le sang font bouillir les cerveaux, la pru-
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dence disparaît et ne laisse place qu'aux inspirations de la violence.
Mais comme au comité des Amis du Peuple, quelques membres à peine parlaient raison, et que tout le reste cédait aux fous entraînements, comme les chefs secondaires sur- tout demandaient à se battre, coûte que coûte, l'insurrec- tion se trouva adoptée en principe dans les premiers jours de mai; il ne fut plus question que de trouver un bon prétexte.
Quand on en est là et que les chefs d'une armée se lais- sent mener parles caporaux, il faut s'attendre à toutes les inconséquences; c'en était une, il nous semble, de choisir le 5 mai pour occasion d'un soulèvement républicain; c'est cependant ce qui eut lieu. Les sections furent convoquées à la place Vendôme, avec ordre d'apporter des couronnes d'immortelles, et de se tenir prêtes pour le combat. Les chefs s'étaient donnés rendez-vous chez un traiteur, où ils devaient prendre des forces, dans un repas patriotique, avant de donner le signal. La police avait l'éveil; elle se chargea de contremander le banquet et fil arrêter les prin- cipaux comploteurs; mais cela n'empêcha pas la manifesta- tion. 11 y eut des bousculades, des clameurs enrouées et tous les incidents de ces sortes d'affaires. Un émeutier tira sur un sergent de ville un coup de pistolet qui rata; puis sortant une épée hors d'une canne, il essaya d'en frapper l'agent de l'autorité; celui-ci dégaina et n'en eut pas pour long- temps à mettre son homme sur le carreau. Comme de juste, cet acte de défense personnelle lui valut l'épithète d'as- sassin; s'il eut succombé sou meurtrier eût été un héros.
Ce fut encore là une échaufiburée; il n'en pouvait être autrement, attendu que l'impulsion était partie de ce que l'on appelle les tètes chaudes, et que réchauffement de ces tètes ne provient que très rarement du génie.
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Lecomitédes Amis du Peuple, qui se fiait peu à MM. Ca- simir Perrier et Gisquet, s'était contenté, depuis quelque temps, d'une direction à l'aide de brochures, évitant les réunions et les mesures trop compromettantes; mais, à la vue du mouvement impérieux qui emportait le parti, il se décida à prendre une initiative ouverte. Lue assemble des principaux membres eut lieu, le 7 mai, dans le faubourg Saint-Martin, et le principe de l'insurrection, déjà généra- lement admis dans les groupes, y fut voté d'une manière officielle.
Justement, peu de jours après, un républicain influent, M. Gallois, est tué dans un duel; son convoi sera le prétexte de la prise d'armes. On a reçu la nouvelle que Madame la duchesse de Berry soulève la Bretagne; le gouvernement, occupé de ce côté, n'aura pas sa liberté d'action à Paris; puis, les légitimistes de la capitale offrent leur concours. Le convoi d'un patriote est une occasiou naturelle pour ras- sembler le parti; il faut la saisir et mettre le feu aux poudres. La chose fut ainsi décidée. A tin de prendre les dernières mesures, une grande réunion est arrêtée pour le 1" juin, rue Saint-André-des-Arls, chez un chef de section, appelé Desnuaud. La police avertie, et n'approuvant pas ce conseil de guerre insurrectionnel, a\uit fait apposer les scellés sur le local. Les conspirateurs arrivent, voient le signe de la loi, et, fort au-dessus de semblables choses, brisent les cachets, s'installent et entrent en séance. Suivis de près par les agents de police, il sont aussitôt cernés et envahis. On en prend une trentaine, le reste se sauve.
L'aflaire n'en resta pas moins décidée pour le jour du con- voi, c'est-à-dire pour le lendemain. Mai.- pendant que le cor- tège était en marche, des émissaires parcoururent les rangs, répandant la nouvelle qu'un ajournement était ordonné. On
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venait d'apprendre l'état désespéré du général Lamarque, et l'occasion de ses funérailles paraissait de beaucoup pré- férable à celle que l'on a\ ait choisie.
Le soir même on apprit la mort du général, et la nou- velle que son enterrement aurait lieu le 5; l'insurrection fut irrévocablement résolue pour ce jour-là.
Le 4 juin le comité des Amis du Peuple rassembla les chefs des sociétés et des diverses fractions insurrectionnelles, afin de régler les dispositions de la bataille. Récapitulation faite des corps sur lesquels on pouvait compter, on assigna les points de rendez-vous suivants : Les Amis du Peuple, à la place du Louvre; les condamnés politiques, place de la Ma- deleine; les étudiants, place de l'Odéon; les réfugiés, rue Ta- ranne; l'artillerie parisienne, place du Palais-Royal. C'étaient la les forces plus spécialement soumises aux Amis du Peu- ple. Les réclamants de Juillet, sous les ordres de M. O'Reilly, et la Société Gauloise commandée par M. Tbielmans, avaient également leur rendez-vous. Il en était de même pour les débris peu nombreux des sociétés Aide-toi, de Wnion, de Y' Instruction libre et gratuite, etc.
Ces forces réunies pouvaient former un chiffre de deux mille hommes, dont six à sept cents pour les.4t?m- du Peuple. L'effectif de tout le parti dans la capitale, ne dépassait pas trois mille hommes. 11 ne faut pas oublier que le peuple ne comptait que pour une portion imperceptible dans les so- ciétés, et que le mot de République lui était à peu près in- connu. Les fauteurs d'anarchie se recrutaient, presque sans exception, dans cette classe de bourgeoisie que j'ai désignée sous le nom d'Impuissants.
On s'occupa aussitôt des mesure? de détail. Des distri- butions d'armes et de munitions furent faites; on indiqua certains endroits où ceux qu'on ne pouvait armer sur-le-
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champ, trouveraient le lendemain ce qui leur fallait; on prépara des masses de brochures destinées à échauffer le peuple, ainsi que les proclamations d'usage. On n'oublia pas une liste de gouvernement provisoire, composée, selon l'ha- bitude, d'hommes à qui on n'a pas demandé leur avis. Ces hommes acceptent toujours quand l'affaire réussit; en cas d'échec, ils désavouent les conspirateurs avec indignation.
Sur cette liste brillaient certains députés qui, après avoir donné naissance au gouvernement nouveau, s'étaient pres- qu'aussitôt déclarés ses adversaires systématiques, lui re- prochant de s'écarter de son origine. Accusation assez étrange, si l'on veut bien y rélléchir. En effet, l'origine de la royauté de Juillet était la révolution, or, que voulait-on ? Instituer un gouvernement révolutionnaire? 11 ne fallait pas nommer de roi. Fonder une royauté progressive? Mais on ne sème le progrès que dansle calme, et le nouveau règne mettait tous ses efforts à l'établissement de l'ordre. Le fait est que l'opposition taquine, envieuse, parfois juste, plus souvent aveugle, qui finit par abattre la royauté sans le vou- loir et sans s'en douter, que celte oposition pointa dès les pre- miers jours de juillet. Au mois de mai 1832, elle était assez aigrie pour bâtir contre le gouvernement cette machine de guerre qu'on appela le compte-rendu, manifestation qui, tombant de haut, remuait forcément le bas de la société, et échauffa les espoirs anarchiques qui éclatèrent aux oetGjuin.
Si l'expérience n'est pas chose vaine pour les oppositions constitutionnelles, ce double exemple du compte-rendu. aidant à amener juin 1832, et des banquets poussant droit à février 1848, servira sans doute de leçon.
11 vient d'être dit que la place des réfugiés politiques était marquée dans l'insurrection du o juin. Quelques mots sur la position et le caractère de ces hommes.
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La Franco ayant le malheur de servir de prétexte à toutes les révoltes, il en résulte que les insurgés des différents pays accourent chez nous, après leur défaite, et exigent, en quelque sorte, notre hospitalité. Secourir des malheureux, surtout lorsqu'ils le sont par notre faute, est un devoir d'honneur qu'en ce pays on ne saurait méconnaître, mais il arrive ceci, que les réfugiés, pour pouvoir de nouveau révolutionner l'Europe, travaillent avec ardeur à réveiller la révolution chez nous; de sorte que ces hommes, à qui nous accordons abri et sécurité, viennent mettre presque forcément le péril et le désordre chez leurs bienfaiteurs. Dieu nous garde de blesser, par une mauvaise parole, les vrais représentants des nationalités tombées, ces hommes graves qui ont quitté la terre natale asservie et fondent leur espoir d'affranchissement sur autre chose que la ruine de leurs hôtes; ceux-là méritent assistance et respect. Quant à ceux qui vont de pays en pays, se ruant dans tout désordre allumé, faisant naîire tout désordre qui couve; quant aux colporteurs d'engins contre les gouvernements, aux Lucifers chassés de leur patrie et conspirant la désolation du genre humain; quant à tous ces metteurs en scène de révolutions , courtiers de guerre civile cl trafiquants de malheurs publics, nous sommes d'avis que la générosité envers eux n'est que de la sottise. Pourquoi donc serions-nous tenus de recevoir chez nous le loup dont le voisin s'est débarrasse?
Les Polonais, à la suite des échecs de 1831 , arrivèrent en France en grand nombre. Presque aussitôt, ils formèrent un comité dont les membres prétendaient représenter la patrie et former une sorte de gouvernement de Pologne à Paris. Ils lancèrent une protestation contre des mesures de presse prises en Allemagne, adressèrent un appel à la révolte aux Russes, et se déclarèrent prêts a aider quiconque voudrait
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entrer en révolution. Tout cela était fort bien de la part de gens n'ayant rien à perdre, mais la France, qui se trouvait responsable de ces actes devant les puissances, avait quelque raison d'y regarder; elle expulsa le comité.
Bientôt on sut que, non contents de fomenter la révolu- tion au dehors, des Polonais s'affiliaient à nos sociétés se- crètes. On coupa la subvention aux plus dangereux, et on dispersa le reste dans les dépôts de province. Ce fut une oc- casion pour la Tribune et les journaux de son espèce de tonner contre le despotisme du gouvernement. A les enten- dre, tous ces réfugiés étaient des gens calme?, inotfensifset tout-à-fait vierges de projets révolutionnaires. Ou'en sa- vaient-ils? D'ailleurs, le sachant, eussent-ils dit la vérité? Donc, les protestations verbeuses en faveur des réfugiés n'étaient qu'ignorance ou fourberie. (Juel homme d'Etat, en France comme ailleurs, serait assez lâche pour persécu- ter, de gaieté de cœur, des exilés? pour frapper de ses ri- gueurs des infortunés qui demandent protection en se sou- mettant aux lois?
Parmi les Polonais importants; on comptait les généraux Bem et Bamorino, lesquels cherchant à utiliser eux et leurs compagnons, proposèrent de former un corps pour aller secourir don Pedro. Ce projet fut d'abord accueilli favora- blement, mais bientôt, à l'instigation des révolutionnaires de Paris, les meneurs de l'émigration se mirent à crier à la trahison, prétendant qu'on voulait se défaire d'eux, ou an moins les compromettre au service de la t\rannie. Ces dé- clamations aigrissant l'esprit de quelques séides, l'un d'eux se porta sur le passage du général Bem, chef de l'expédi- tion, et lui lira un coup de pistolet à bout portant. Ce chef n'échappa à la mort que par un miracle. On jugera par un pareil attentat des dispositions de cette classe d'étrangers,
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Quant aux Italiens qui s'étaient aussi abattus sur la France après leurs tentatives révolutionnaires, Paris n'en comp- tait qu'un petit nombre; ils étaient pour la plupart dans le Midi et se signalèrent par des actes d'un caractère encore plus détestable. Une association existait parmi eux sous le nom de Jeune Italie, ayant pour chef un homme que ses an- técédents démagogiques et les derniers événements deRome, ont marqué d'un cachet sinistre; je parle de M. Joseph Mazzini. Tout membre de l'association était tenu de se pro- curer des armes, d'être à la discrétion des chefs et de tra- vailler sans relâche à l'extermination des rois; en outre il faisait serment d'assassiner quiconque lui serait désigné par le comité. Et ce n'était pas là un de ces vains engagements, comme il s'en prend dans toutes les sociétés secrètes. Les ré- ceptions n'avaient lieu qu'après un examen rigoureux, qui garantissait un dévouement fanatique et une détermina- tion farouche. Au reste, un fait va montrer ces hommes à l'œuvre.
Quatre réfugiés, MM. Emiliani,Scuriatti, Lazzoreschi et Andriani, qui voulaient bien combattre les tyrans de l'Italie, n'acceptaient pas les doctrines sanguinaires de la société mazzinieune, et s'en étaient expliqués ouvertement; ce fut un crime de haute trahison dont la connaissance fut portée aux assises secrètes. M. Mazzini vint de Genève, exprès pour présider au jugement, qui eut lieu à Marseille, dans des formes arrêtées par les statuts. Vn nommé La Cécilia était secrétaire, plusieurs chefs siégeaient comme membres du sombre tribunal. Les francs-juges se réunirent la nuit, dans la maison de l'un d'entre eux, constituèrent gravement leur cour de justice souveraine, et procédèrent sur pièces, sans accusés et sans défenseurs, à l'examen de la cause. Sur l'or- dre de M. Mazzini, le secrétaire donna lecture des faits de
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l'accusation. Il en résultait l'inculpation contre les préve- nus : 1° D'avoir propagé des écrits contre la société sainte; 2° D'être partisans de l'infâme gouvernement papal; 3° De chercher à paralyser les projets de l'association en faveur de la cause sacrée de la liberté.
Les preuves, résultant de plusieurs témoignages écrits, fu- rent produites; on les discuta, et, en l'absence de contradic- teurs, on tomba promptement d'accord sur leur énormité. En conséquence, le tribunal faisant application dus statuts, condamnaMM. LmilianietScuriattiàla peine demort. Quant à Lazzoreschi et Andriani, les charges contre eux étant moins fortes, l'arrêt ne les condamnait qu'à être frappés à coups de verges, « sauf à subir, à leur retour dans leur pa- « trie, un nouveau jugement qui les envoie aux galères ad « vitam, comme traîtres et brigands insignes. »
Avaientsigné: Mazzini, président, et LaCédlia secrétaire. Copie de ce jugement fut saisie et existe. Los condamnés étant domiciliés à Rhodez, la pièce portait comme chapitre additionnel : « Le président de Hhodez fera choix de quatre « exécuteurs de la présente sentence, qui en demeureront « chargés dans le délai de rigueur de vingt jours; celui qui « s'y refuserait encourerait la peine de mort ipso facto. »
Voilà bien la procédure sommaire, la pénalité farouche et le caractère impitoyable de certains tribunaux des épo- ques barbares; cette fantasmagorie a été souvent renouve- lée pour effrayer les conspirateurs crédules, mais ici il s'a- gissait d'un drame trop réel. M. Mazzini, ce type de l'Italien froid, perfide et sanguinaire, aspirait dès cette époque à la domination qu'il a fini par imposer à son pays, et son jésui- tisme révolutionnaire procédait par les mêmes moyens qu'il reprochait à ses ennemis : les châtiments ténébreux et le sai- sissement des imaginations.
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Peu de jours après le jugement, Emiliani passant par les rues de Rhodez, est attaqué par six de ses compatriotes, qui lui portent des coups de poignards et se sauvent; la vic- time parvient à échapper à la mort, et les assassins sont arrê- tés. On instruit l'affaire, qui ne tarde pas à se dénouer devant la cour d'assises. Les exécuteurs de M. Mazzini sont con- damnés à cinq ans de réclusion.
M. Emiliani, tout maladif encore, avait assisté au procès, accompagné de sa femme qui l'entourait des soins réclamés par son état. En sortant, il était fatigué et il entra dans un café avec sa compagne; son ami, M. Lazzoreschi était avec eux. A peine assis, un nommé Gavioli paraît, va à M. Emi- liani, et, sans prononcer une parole, lui plonge son poignard dans la poitrine; d'un second coup il renverse M. Lazzores- chi; puis, comme Mme Emiliani se précipite au secours de son mari, il la renverse à son tour en la frappant deux fois de son couteau; alors il prend la fuite, et n'est saisi qu'avec peine par des jeunes gens à qui il oppose une résistance désespérée.
L'effroi du terrible tribunal élaitsi grand, que, deux jours après, aux funérailles des victimes, pas un seul Italien n'osa se montrer.
L'assassin jugé et condamné, porta la peine de son crime. Quant à M. Mazzini, rentré en Suisse, comme le tigre ren- tre dans sa caverne après une scène de carnage, il se remit froidement à son œuvre de destruction sociale.
Voilà l'espèce d'hommes qui prétendent s'imposer à notre générosité! voilà l'intéressante clientèle pour laquelle les feuilles démagogiques font de si touchanls plaidoyers ! Des Mazzini qui bâtissent une exécrable intluence sur des comé- dies sanguinaires; des brutes dont il a fait des instruments d'assassinat!
Dans le Midi, ils trempaient lâchement leurs mains dans
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le sang d'un compatriote; ù Paris, ils t'apprêtaient à omis donner la guerre civile. Leur conduite était-elle plus misé- rable que celle de leurs hypocrites défenseurs? En vérité, on ne sait que répondre.
Quoi qu'il en soit, nous voici arrivés à cette grande ba- taille que tout nouveau gouvernement, chez nous, parait condamné à soutenir; choc terrible, où la révolution dé- ploie un Baptême effort avant de s'avouer impuissante, et pour lequel il semble que le mois de juin ait reçu une consé- cration sinistre.
CHAPITRE Y
HéM>lte dos 5 et G juin. - Théorie <l«s insurrections. — Comme quoi le plan do concentration du général Caraignac est unedhosc détestable.
En déplaçant une foule d'existences, les révolutions font des vacances pour les fausses capacités, les soties prétentions et toute la troupe des ambitieux faméliques. Beaucoup de ces gens trouvent des positions très éclatantesdansle premier moment; mais, comme ils conviennent beaucoup moins aux places que les places ne leur conviennent, leur fortune ne dure guères. Autant on en remercie, autant qui deviennent les ennemis acharnés du nouveau pouvoir. Ceux qui n'ont pas eu la subtilité ou la chance de saisir un morceau de la proie, déclarent également la guerre au nouvel état de choses. Du reste, ils ne se plaignent pas pour leur propre compte; Dieu les en garde ! Ce qui les force à élever la voix, c'est un violent amour du peuple dont ils se sont trouvés saisis, juste au moment où leurs petits plans ont échoué; ils crient don- .
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ils gémissent, ils conspirent à qui mieux mieux. Et comme les pauvres gens souffrent toujours, après un changement de gouvernement, et se persuadent sans peine que leur mal vient de la nouvelle administration; comme il reste dans les es- prits, après toute commotion, un germe de fièvre facile à raviver; comme on a traité de héros ceux qui ont fait la ré- volution et qu'ils se croient autorisés à montrer le même hé- roïsme en toute occasion; comme le relâchement de l'autorité leur permet do concerter leurs efforts, qu'ils ont pu s'or- ganiser, s'approvisionner, prendre des mesures de toutes sortes, il en résulte que, peu de temps après une révolte heureuse, il y en a toujours une seconde, terrible, achar- née, qui prétend perfectionner la première. C'est ce que nous avons vu après 1848; c'est ce que nous allons voir après 1830.
Les péripéties de l'insurrection de 1832 sont connues, et notre mission n'est pas de les détailler; nous n'en dirons que ce qui entre naturellement dans le plan de cet ouvrage. Le rendez-vous général était aux alentours de la maison mortuaire, rue Saint-Honoré. Vers dix heures, quand le convoi s'ébranla, toutes les sociétés étaient a leur poste. La curiosité, stimulée par mille rumeurs, par l'attente d'évè- ments généralement pressentis, avait attiré une multitude immense, à travers laquelle la manifestation se mit à on- doyer bruyamment. Sauf quelques parents, amis ou admi- rateurs désintéressés du défunt, le cortège n'était composé que de révolutionnaires. Les Amis du Peuple, flanqués des étudiants, des artilleurs de la garde nationale, des réfugiés et des condamnés politiques, formaient le gros de l'armée; Jes rédamant» 'Je Juillet ,la Sociélé Gauloise étaient en corps séparés; puis venait une masse où se confondait le reste des fractions disposées au combat. Au-dessus des tètes, flot-
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taientun grand nombre de bannières de diverses eonlcnrs; quelques-unes avec des emblèmes significatifs. M. O'Reilly marchait en tète de sa bande avec un drapeau rouge; les réfugiés portaient les couleurs de leur pays.
L'esprit de cette troupe commença à se révéler à la rue de la Paix. Au lieu de suivre le boulevard, le cortège, sur Tordre des chefs, s'achemina vers la Colonne, sous prétexte de rendre hommage à l'empereur. Au boulevard Montmar- tre, un incident d'un genre différent signala la marche : ou venait de saluer le représentant de la dignité française, on ne vit rien de mieux que d'avilir aussitôt cette dignité; les chevaux du corbillard furent dételés et les patriotesse mirent à leur place. Heureuse idée de la part d'hommes qui gémis- saient sur l'abaissement de l'espèce humaine !
Tout le long de la roule, jusqu'à la place de la Bastille, le passage du cortège fut marqué par des scènes de désordre, peu graves en elles-mêmes, mais qui indiquaient la disposi- tion desesprits. Ici, c'esile cri de : Vive la République! qui sor- tait d'un groupe; là, un sergent de ville que l'on assommait; plus loin, un citoyen inoffensif à qui l'on jetait tics pierres parce qu'il gardait son chapeau. On se faisait la main poul- ie coup décisif, fixé au pont d'Austerlitz. Là, au moment où le corbillard tournerait vers la barrière pour gagner le lieu de naissance du défunt, il était convenu que ce cri partirait de tous côtés : Au Panthéon ! et (pie l'on feindrait de vouloir retenir le corps. L'autorité refusant et le peuple insistant, une rixe s'engagerait qui servirait de signal au mouvement.
Ce plan était connu; aussi, lorsqu'on en vint à l'exécution, trouva-t-on l'autorité en mesure. Un fort détachement de gardes municipaux avait pris la conduite du corbillard, sous les ordres d'un officier résolu, le lieutenant-colonel Dulac, qui faisait bonne garde. Le cri de guerre poussé, des cail-
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luu\ tombent aussitôt sur le? municipaux qui font face sans bouger. Arrivent des républicains armés qui débutent par une décharge meurtrière. Le lieutenant-colonel est blessé, un capitaine tué, plusieurs gardes mis hors de com- bat. Le détachement tient bon, et pendant que le gros de ses hommes fait feu; les autres placent le cerceuil sur une voiture de voyage qui gagne la barrière et disparaît.
La glace était rompue. Déjà, dans la foule amassée cnlrela Bastille et la rivière, l'insurrection grondait de toutes parts. Tout à coup un homme à cheval paraît, perçant la multi- tude avec peine, et secouant les plis d'un grand drapeau rouge, où on lit ces mots : La liberté ou la mort! il était porté par un démagogue fougueux du nom de Pieron. A celte vue, il se fait un mouvement caractéristique; les cu- rieux et tous ceux qui venaient de bonne foi rendre hom- mage a un défunt illustre, devinèrent des projets sinistres; ils quittèrent aussitôt la place, laissant le champ libre aux révolutionnaires.
Une barricade était déjà formée contre le grenier d'abon- dance; de ce point, ainsi que de l'intérieur de l'établisse- ment, protégé par une palissade, des coups de feu partent bientôt contre un escadron de dragons; ceux-ci vont ripos- ter, mais de braves gens s'interposent, et arrêtent pour quelques instants un conflit inévitable. En effet, tout le ré- giment, caserne près de là, étant sorti pour secourir ses hommes, une fusillade des plus vives l'accueille, blesse co- lonel, lieutenant-colonel, tUe un commandant, et décime- le corps. 11 fallait agir. Les cavaliers s'ébranlent mais avec calme, se contentant de charger serré, sans faire feu, ni jrtiquer; ils refoulent ainsi la masse et dégagent les lieux.
Les républicains repousses de ce point, où du reste ils ne comptaient pus tenir, se divisent en une infinité de petits
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groupe?, et s'éparpillent de tous côtes, chacun vers une position désignée d'avance, qu'ils surprennent et où ils s'é- tablissent. Ils arrivent ainsi dans l'espace de deux heures à tenir plus de la moitié de la capitale.
C'est ici qu'on peut juger des procédés insurrectionnels et se convaincre que, devant des multitudes qui roulent et se répandent avec la rapidité (\u terrent, le plan ^u général Cavaignac et tous les systèmes de temporisation, sont radi- calement marnais. L'éparpillementdes insurgés est une rè- gle générale qu'indiquent la nécessité et l'instinct: on se divise pour aller chercher des armes et des approvisionne- ments, puis chacun va à un point qu'il connaît, où il trou- vera des camarades, et où il pense pouvoir mieux attaquer ou se détendre. Attendre que l'insurrection ait t'ait connaître son plan d'attaque pour lui opposer un plan raisonne de défense, c'est tout uniment livrer du terrain à L'ennemi. Les soldats des rues ont une tactique, mais pas de système; celte tactique, qui est tente leur habileté, consiste à pren- dre des postes ou des casernes pour avoir des armes, cl, quand ils en ont, de se retrancher dans les quartiers popu- laires et difficiles; ils ne savent pas autre chose. (Je qu'il faut taire est donc bien simple; c'est d'empêcher le peuple île se procurer des armes et de se barricader dans les carre- fours; pour cela il s'agit de prendre l'insurredion au colle I quand elle se lève, et de l'étouffer avant qu'elle ail pu s'é- tendre.
Cette méthode, la seule bonne, et qui permettra à tout gouvernement) qui a confiance et sait l'inspirer, d'écra- ser facilement une révolte, ne fut pas assez pratiquée en juin 1832. On était sur une bonne défensive, on avait pris d excellentes mesures; 24,000 hommes étaient dans Paris prêts à s'échelonner dans toutes les directions: la garde mu-
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nicipale était aux trousses du convoi, avec ordre d'agir aii premier acte hostile, et cependant l'insurrection put enve- lopper Paris dans un clin d'oeil; à trois heures de l'après- midi, elle était arrivée à un résultat, que les notions ci- dessus expliquent, mais qui n'en doit pas moins paraître extraordinaire. L'Arsenal, la mairie du 8e arrondissement, le poste de la place Saint-Antoine, ceux de la Galiote, du Ghàteau-d'Eau, et beaucoup d'autres tout le long de celle ligne, étaient aux insurgés. Une fabrique d'armes, ruePo- pincourt, était pillée; la caserne des pompiers, rue Culture- Sainte-Catherine, enlevée. De là, gagnant le centre, les ré- publicains s'étaient répandus avec la même rapidité dans les quartier du Marais, des Lombards, des Arcis, des Halles, Montorgueil, du Cadran, Montmartre, etc. Ils arrivent jus- qu'au poste de la Banque qu'ils emportent. Ils veulent en faire autant de celui des Pelits-Pères, où la garde nationale lient bon et leur fait essuyer un premier échec. Sur la rive gauche, même promptitude de mouvements, et, presque partout, même succès. La caserne des Vétérans, près du Jardin des Plantes, la Poudrière, beaucoup de postes, et toutes les petites rues de la Cité, tombent au pouvoir des ré- voltés.
De tous côtés on appelle aux armes et on dresse des bar- ricades. La fougue de l'insurrection est au comble. Déjà les malfaiteurs sont à l'œuvre : des barrières sont livrées à l'in- cendie, des bâtiments à la dévastation.
Ainsi la capitale, aux trois quarts, se trouvait envahie; et ce travail surprenant, il faut le répéter, avait été accompli dans quelques heures. Comment cela? Par la trop grande conûancedu gouvernement. On comptait réduire la révolte, en tout état de cause, et on avait tenu les Iroupesen réserve au lieu de les déployer à l'avance. Les 24 ,000 hommes de lrt
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garnison, répandus dans les rues dès le matin, une forte colonne postée à la Bastille où Ton savait que la première explosion aurait lieu, des instructions vigoureuses données aux officiers, il n'en fallait pas plus pour couper court aux barricades, aux désarmements de postes, aux enlèvements d'armes et de munitions, en un mot au soulèvement.
L'expérience à cet égard est acquise, il faut l'espérer. S'il en était autrement, disons et redisons jusqu'à satiété que rios insurrections victorieuses ne sont que des sur- prises, et que tout gouvernement qui ne se laissera pas surprendre aura raison des révolutionnaires. Les agglomé- rations de troupes, les mesures de police, les arrestations en masse des chefs démagogues, et surtout le déploiement de forces considérables devant tout symptôme de révolte, cela fera crier, inspirera de beaux mouvements d'éloquence et de fureur, soit! Les cris se perdront dans l'air; mais Paris ne nagera pas'dans le sang, cl une bande de réprouvés ne jettera pas périodiquement la France dans l'anarchie.
On va dire que nous prêchons le despotisme, nous pié- cherons simplement le respect de la première chose du monde : la personnification légitime d'un peuple. Qu'un gouvernement ait des torts, cela se voit, même souvent; mais que, sous prétexte de ces torts, quelquefois involontaires, presque toujours réparables, une poignée d'hommes s;ms aveu, assaillent inopinément le pouvoir, le renversent et en imposent un nouveau de leur façon, sans prévenir, sans consulter le pays, où ils ne COmptenl presque pour rien; c*esl ce qui est intolérable, et ce qu'il faut décidément empêcher. On l'empêchera par ces moyens fort simples: surveillance incessante, force de repression toujours prête, irruption ra- pide, vigoureuse et en masse contre l'ennemi aussitôt qu'il se montre.
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Qu'avec ces procédés, un gouvernement se tienne dans le milieu national, sans entraînement, sans entêtement, et il échappera certainement à une de ces chutes pitoyables qui ont si grièvement blessé l'autorité chez nous.
Paris était donc envahi par l'insurrection; on pourrait croire que la situation était presque désespérée; il ne faut pas voir ainsi les choses. Une invasion de révolutionnaires dans la capitale ne prouve rien en soi; c'est la disposition générale des esprits qui est chose importante. Le mouve- ment, si cette disposition lui est favorable, peut prendre un grand développement et se changer eu révolution; si elle lui est défavorable, l'affaire se tourne promptement en échauflburée. Or, pour tout œil exercé, il fut évident, dès le 'ô de bonne heure, que la révolte n'excitait aucune sympa- thie dans la population. Dès lors, abandonnée à ses uniques ressources, réduite à lutter seule contre les forces du pou- voir, sa défaite n'était pas douteuse.
Vers quatre heures, le maréchal Lobau, qui avait été investi du commandement des troupes et des gardes natio- nales, donna ordre d'attaquer sur tous les points. Ces soldats que Ton prétendait gagnés à la révolte, parce que quelques caporaux avaient trinqué à la barrière avec des courtiers d'anarchie, marchèrent au feu avec leur résolution ordi- naire. La garde nationale, surtout celle de la banlieue, était pleine d'ardeur; elle paya de sa personne avec la plus grande intrépidité. A neuf heures du soir, la rive gauche était déblayée. Le roi rentra à Paris à ce moment; il pa-sa, sur le Carrousel, une revue aux flambeaux, où l'armée éclata en marques sincères de dévouement. Pour resserrer le plus possible la révolte ce jour-là, on continua le combat jusqu'à minuit. A cette heure, les insurgés, chassés de tou- tes leurs petites positions, se trouvaient cernés dans l'espace
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compris entre le milieu de la rue Montmartre et le marché des Innocents, s'étendant par la rue du Cadran et la rue Montorgueil jusqu'au cloître Saint-Méry, où ils s'étaient fortement retranchés; ils restaient maîtres, en outre, de quelques barricades à l'entrée du faubourg Saint-Antoine.
Déjà les républicains de sang-froid, et tous ceux qui te- naient davantage à leur sûreté qu'à la gloire, avaient aban- donné la partie. L'hostilité ouverte de la population tuait leurs illusions et leur courage.
Tous les avis qui arrivèrent à la Préfecture, pendant la nuit, confirmaient ce découragement et cette désertion. Les insurgés qui restaient, accablés de fatigue, exténués par la boisson, ne pouvaient plus opposer qu'une résistance vaine. A Saint-Mérv seulement, un noyau d'hommes fondait des balles, fabriquait des cartouches et semblait disposé à une lutte désespérée.
Pour en finir plus \itc, on recommença l'attaque à quatre heures du matin. Le quartier Montmartre lut emporté, puis le faubourg Saint-Antoine, puis toutes les autres positions, à l'exception de Saint-Méry, dont la résistance fut acharnée, et qui ne céda que sous les décharges de l'artillerie.
A six heures du soir, il ne restait plus rien de la révolte, que le sang des victimes, des désastres, des ruines et l'indi- gnation publique !
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CHAPITRE XI.
Comme quoi les conseilleurs no sont pas les payeurs. — M. Jeanne. — Déca- dence du Parti républicain. — Affaire du pont d'Aréole. — Bonne foi des Démagogues. — Le coup de pistolet du Pont-Royal. — Les Droit* cte l'Homme. — Similitude remarquable. — Nécessité de tuer l'anarchie.
La lutte de juin ne mit pas en relief le courage nés chefs des sociétés secrètes et des directeurs de propagandes. Quel- ques-uns avaient été arrêtés avant le combat, mais beau- coup étaient libres, et dans ces derniers on n'en voit pas qui se soient distingués le fusil à la main. C'est là un fait qui ne saurait étonner beaucoup; divers exemples ont montré que les héros de clubs, les Attila de la plume, perdent beaucoup de leur audace sur le pavé. 11 est vrai que les pauvres gens à qui ils ont monté la tète, sont faits pour recevoir des balles à leur place, et qu'ils s'acquittent consciencieusement de ce rôle.
Pour être vrai, disons que les républicains d'intelligence et de poids étaient opposés à l'insurrection, et n'avaient pas à prendre part à une affaire qu'ils désapprouvaient; mais parmi tous ces chefs secondaires qui avaient soufflé le feu de la révolte avec tant d'ardeur, il eût été bon que quel- ques-uns se fissent voir bien clairement au milieu du feu, se fissent tuer même, pour prouver qu'ils n'entendaient pas se réserver seulement les bénéfices de la République.
On comptait sur quelques gros bonnets qui ne parurent pas; M. Mauguin,entrcautres, et le général Clause!. Le pre- mier, à qui on dépêcha des émissaires, fut trouvé tremblant de peur; il ne s'attendait pas à une explosion r-\ terrible, et
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il n'en voulait entrevoir que les suites, qui L'effrayaient. Le maréchal Clausel,par faiblesse ou désir de popularité, don- nait des espérances à tous les partis, mais ne se compro- mettait pour aucun. Quant au général Lafayeth, son goût pour les aventures révolutionnaires était un peu tourné à la monomanie. Il était auprès du pont d'Auslerlitz quand la révolte éclata; des insurgés le reconnaissant, le mirent dans une voilure pour le conduire à niôlol-de-Ville, espérant s'en faire une enseigne; il s'abandonna à eux sans objec- tion. Comme ce projet ne put être réalisé, attendu qu'à l'hôtel on faisait bonne garde, les amis du général conçu- rent un autre plan, d'une originalité un peu féroce: il s'agis- sait de jeter l'excellent homme à l'eau et de mettre sa mort sur le compto des sergents de ville. Fort heureusement cette idée patriotique ne fut pas poussée jusqu'au bout. 11 paraît que plus tard, en rappelant cette circonstance, le gé- néral aimait à dire que l'invention n'était pas trop mau- vaise; nous ne savons si dans ce moment il voyait la chose du même œil.
On connut par les pièces saisies que d'autres personnages avaient trempé dans les préparatifs. De ce nombre étaient MM. Laboissière, Garnier-Pagès aîné ot Cabet, contre qui des mandats furent lancés. On envoya également prendre les rédacteurs des journaux démagogiques; parmi ces der- niers on en trouva qui composaient des articles pour prou- ver que la police axait provoqué la révolte. L n journal af- firma très sérieusement la chose, se basantsurce queYidoeq avait été vu, le 0, sortant de la Préfecture avec une bande armée. Le fait était vrai; seulement, le chef de la brigade de sûreté allait dans la cité saisir un des chefs de l'insuiree- lion,M.Colombat,qui fut pris et condamné à la déportation.
L'état de siège avait été déclaré; les conseils de guerre en-
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frèrent aussitôt en fonctions. Un des premiers accusés qu'il jugèrent était Pépin, qui depuis fut guillotiné avec Fieschi. De la maison de Pépin, à l'attaque du faubourg Saint-An- toine, on avait fait un feu violent contre la garde nationale et la troupe; Pépin lui-même fut trouvé porteur d'un pis- tolet, dont il voulut faire usage contre ceux qui l'arrêtèrent; en outre, la perquisition faite chez lui avait amené la dé- couverte de 14 fusils encore chauds. Cela ne l'empêcha pas de nier toute participation au combat et d'être acquitté. Il est vrai que la garde nationale manqua de se faire justice elle-même quand l'insurgé rentra dans le faubourg.
Pépin était un conspirateur entêté qui avait la main dans tous les complots; il pérorait peu, mais il agissait, malgré que sa nature fut un singulier mélange, où le courage n'a- vait pas toujours le dessus.
Un homme montra dans cette triste lutte une bravoure réelle et soutenue; ce n'était pas non plus un arrangeur de phrases, ni un paradeur de clubs, mais un de ces révolu- tionnaires froids qui deviennent chefs parce qu'ils savent mieux exposer leur vie que les autres; nous parlons de M. Jeanne, le commandant de la barricade Saint-Méry,qui se battit pendant les deux jours et se fit une trouée, les ar- mes à la main, après l'affaire. Il ne fut saisi que quelque temps après.
On sait que, par suite d'une fort étrange interprétation de l'étal de siège, la cour de Cassation infirma les jugements des conseils de guerre et renvoya tous les accusés devant la cour d'Assises. Dès lors une multitude de procès s'ouvri- rent qui occupèrent le jury pendant plusieurs mois. Il y eut sept condamnations à mort contre les personnes suivantes: MM. Lepage, Cuny, Lacroix, Bainssc, Lecouvreur, Tou-
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priant et Foithoin; quatre arrêts de déportation contre MM. Jeanne, Colombat, Saint-Etienne et O'Reilly; puis des condamnations aux travaux forcés. Celte dernière peine fut généralement commuée; on dut la maintenir toutefois contre certains patriotes qui pratiquaient déjà les maximes extrê- mes du socialisme, notamment contre MM. Léser et Didier qui avaient eu inaille à partir avec le code Pénal, section du
Yol.
MM. Thielmanset Marchand, chefs de {^Société Gauloise, furent condamnés à sept ans de détention.
On voit que dans tout cela il n'y a guère trace des chefs des Amis du Peuple, qui avaient poussé si ardemment à l'insurrection par écrits, discours, ordres du jour, instruc- tions, etc. Nous savons bien qu'il y a peu de nos grands hom- mes de Février qui ne se donnent encore aujourd'hui comme des héros de juin 1832; tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'on n'en vit guères sur les barricades, et qu'on n'en retrouva aucun dessous. 11 est bon d'appuyer sur ce fait, parce que ces hommes que l'on voit alors allumant le feu, tout en évitant de s'y brûler, sont les mêmes qui re- commenceront ce manège jusqu'en février, époque où leur prudence fut tout aussi grande, mais leur chance beaucoup plus heureuse. Sans doute les généraux ne doivent pas s'ex- poser imprudemment; mais d'abord les généraux en épau- leltes ont tous fait leurs preuves, tandis qu'il en est autre- ment de beaucoup de chefs de conspirations; ensuite cette prudence du général, surtout quand il a montré tant d'ar- deur avant la bataille, est un principe dont il ne faut pas abuser. En y regardant, on trouve que, pendant dix-huit ans, une foule de pauvres diables sont morts sur le pavé dé- nies, la dalle des prisons, ou le sommier des hôpitaux, parce
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qu'ils ont écouté des gens qui devaient toujours se mettre à leur tète pendant le danger, et qui se sont mis simple- ment à la tète du gouvernement, le jour du succès.
Nous pourrions profiler de l'occasion pour mettre en re- gard de ces chefs de conspirations qu'on ne trouve pas à l'heure où leurs hommes se font tuer, quelques chefs du gouvernement qui parurent à cheval dans Paris au plus fort de la fusillade. Le roi d'abord, qui, le 6 à midi, quand le canon écrasait Saint-Méry, traversa la capitale, des Champs- Elysées au faubourg Saint-Antoine, non sans quelque dan- ger, apparemment, puisqu'une décharge de mousqueterie siffla à son oreille sur le quai de la Grève; et puis M. Thiers, que les patriotes cachent toujours au fond d'une cave à l'heure du péril, et qui, ce jour-là, entendit le bruit des balles de plus près que beaucoup d'entre eux.
Comme l'étrange mollesse de certains pouvoirs publics existait toujours, et venait même de se signaler par un nou- vel et frappant exemple, en détruisant de fait l'action de l'état de siège, les instigateurs prudents de la révolte, les aboyeurs de la presse républicaine, recommencèrent de plus belle leurs vociférations. Deux condamnations h mort venaient d'être prononcées par la cour d'assises contre MM. Lepage et Cuny; c'étaient les premières; elles furent commuées sur-le-champ. MM. Marrast, Sarrut, Bascans et autres écrivains de la faction le savaient; cependant, ils se posèrent en matamores, défiant le pouvoir de dresser l'écha- faud. Impudence et lâcheté ! impudence que d'exaspérer les débris de la sédition par un fait faux; lâcheté que de pousser des malheureux à une nouvelle boucherie, et surtout de tenter la colère du gouvernement. Car enfin, si le roi et ses conseillers n'avaient pas eu une justice plus calme que la leur, ne se pouvait-il pas que ce défi ne mît obstacle à leur
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indulgence? C'est peut-être bien là ce que demandaient ces honnêtes gens. Ils avaient comploté la noyade du général Lafayctte au début de l'affaire; pourquoi ne croirait-on pas qu'après la défaite, ils aient essayé de faire tomber le couteau de la guillotine pour réchauffer les fureurs révolutionnaires?
L'affaire de juin fait date pour la faction, non pas seule- ment à cause de la bataille qu'elle engagea, mais surtout à cause de la décadence où elle entre dès ce moment. On verra effectivement qu'elle n'a jamais remis en ligne, sous la mo- narchie, une armée aussi considérable.
Le parti légitimiste révolutionnaire avait eu son Waterloo à Paris, dans la rue des Piouvaires; il ne tarda pas à tom- ber également en province. 11 est juste de redire que le^ hommes les plus considérables de cette cause n'ont jamais approuvé les conspirations de la capitale et la guerre civile de l'ouest. Par le fait, l'héroïsme de Madame et l'impa- tience de quelques gentilshommes menèrentàdes échauflbu- rées qui firent plus de tort que de bien à la famille de." Bourbons aines.
In reste de l'explosion de juin eut lieu quelques semai-* nés après, au deuxième anniversaire de Juillet. Quelques centaines d'émeutiers échauffés plus que déraison, par les vapeurs du patriotisme et du vin, descendaient la rue Saint- Denis en chantant la République et en criant : A bas Louis- Philippe ! Ils se rendirent ainsi au marché des Innocents, où étaient une partie des tombes de Juillet, au Louvre où d'autres combattants avaient élé enterrés, et ne crurent pas pouvoir mieux honorer les victimes, qu'en insultant les agents de l'autorité. Du Louvre ils se dirigent vers le pont d'Arcole, théâtre d'un l'ail éclatant de la Révolution, qu'il faut célébrer aussi. Tout cela se passait à onze heures du soir, moment fort inopportun, on en conviendra. La police
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jugea que ce singulier pèlerinage ne pouvait être toléré, et envoya des sergents de ville à la pistades perturbateurs. Us les retrouvèrent sur le pont d'Arcole, chantant et vocifé- rant de plus belles. Comme ils les abordaient, ils furent ac- cueillis par un cri de : Vive la République! et une attaque à coups de bâtons. Ils durent tirer l'épée et cinq patriotes reçurent des blessures.
Le lendemain on raconta, dans le journal de M. Marrast, que l'extermination des républicains trouvés sur le pont avait été complète; loua avaient été laissés pour morts ou jetés dans la rivière. Quelques-uns de ces derniers donnant encore signe de vie, les sergents de ville étaient descendus pour les larder dans l'eau. — Sans doute en se mettant à la nage. — Enfin, comme preuve de la boucherie, on citait trois cadavres retrouvés aux filets deSaint-Gloud, qui n'ont jamais existé !
Bons lecteurs, tous les jours certains gazetiers vous ra- content de ces histoires, qui seraient à dormir debout, si elles n'étaient d'une impudence odieuse.
La rixe du pont d'Arcole est comme le dernier acte de la grande phase émeutière qui durait depuis juillet; si les dé- sordres de la rue ne doivent pas encore disparaître, au moins ils auront des intervalles et laisseront respirer Paris. Mais aussitôt que la paix rentre dans la cité par l'impuissance des partis, une autre série d'actes criminelscommence. Incapa- bles de lutter en face, lesfactions trouvent dansleur sein des forcenés qui ont recours à l'assassinat. Leur fureur va pour- suivre pendant seize ans, soit le roi dans ses fonctions, soit le père au milieu de sa famille. 11 n'y a peut-être pas d'exem- ple dans les légendes sauvages de cette manie abominable.
Lé premier attentat est connu sous le nom d'affaire du f loup dé Pistolet. Le 19 novembre 1832, le roi venait dé
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sortir des Tuileries pour ouvrir la session; il était au milieu de son cortège, où de nombreuses acclamations le saluaient. Au bout du Pont-Royal, un groupe se faisait remarquer par des démonstrations (bruyantes où le cri de Vive le roi ! per- eait avec une sorte d'affectation. Tout à coup, de ce groupe part un coup de pistolet, dont la balle va eftleurcr la ligure du prince. En même temps une poussée s'opère à l'endroit du crime; on se beurte, on se bouscule, on a l'air de se pré- cipiter sur l'assassin, et on fait si bien qu'on réussit, dans le désordre, à le faire disparaître sans qu'il soit reconnu. Un pistolet est trouvé à l'endroit même, un second un peu plus loin.
Saisie d'une idée rapide, une femme qui était là, Made- moiselle Boury, court au ministère de l'intérieur, aux Tui- leries, et enfin à la Prefeeture de police, où M. (jisquet reçoit une déclaration importante qu'elle annonce. A l'en croire, elle s'est touvee à coté de l'homme qui a tiré, et a préserve la vie du roi en dérangeant la direction du pistolet. Elle donne en même temps r.n signalement qu'elle assure être celui de l'assassin. Minutieusement interrogée pur le préfet, la bonne dame se coupe et ne tarde pas à laisser soupçonner sa véracité. Effectivement, au bout de quelques jours on a la certitude qu'elle n'a rien mi ni rien fait, et que, pour sortir d'une position embarrassée, elle a invente son rôle de protectrice du roi. Laissant là cette fausse piste, la police en prit une, indiquée par des renseignements antérieurs, et qui paraissait beaucoup plus suie. Quelques jours auparavant, un rapport avait signalé un complot dont les principales circonstances venaient de se réaliser; il s'agissait d'un at- tentat contrôle roi, prémédite par quatre républicains: MM. Bergeron, Benoit, Girou et Billard. Ce dernier devait faire le coup, avec un petit fusil qui pouvait se cacher SOUS
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les vêlements; ses complices, ainsi que d'autres amis, étaient chargés de l'entourer et de favoriser son évasion. La der- nière partie du plan avait reçu son exécution, mais Billard n'avait pu y prendre part, attendu qu'il était arrêté et son arme saisie. Les recherches se portèrent sur ses trois com- pagnons qu'on arrêta bientôt. L'instruction lit tomber les griefs qui s'élevaient contre MM. Girou et Benoit; M. Ber- geron parut seul en justice. Outre le rapport dont il vient d'être parlé, plusieurs témoignages le chargeaient grave- ment, entre autres les paroles d'un M. Planel qui, après avoir vu l'accusé quelques minutes avant l'affaire, avait dit à une autre personne : Bergeron est comme fou, il veut absolument tuer le roi; et puis celui d'un individu à qui M. Planel lit une description des pistolets s'appliquant exac- tement à ceux du prévenu. Malgré cela, M. Bergeron fut acquitté,
11 est vrai que, quelques mois auparavant, ou avait ac- quitté Pépin, saisi les mains noires de poudre, et que des verdicts de non culpabilité innocentaient chaque jour des écrivains abominables.
La première impression des affaires de juin était passée. Comme le gouvernement ne s'était armé d'aucune loi con- tre ses ennemis, ceux-ci n'avaient pas perdu de temps pour recommencer la guerre. Les procès politiques se renouve- laient sans cesse, mais sans grand profit pour l'autorité, at- tendu la tournure hautaine que les républicains savaient se donner sur la sellette, et les étranges jugements qui venaient déconcerter la conscience publique. Les journaux de la fac- tion étaient d'une violence et d'un cynisme que l'on pour- rait appeler rares, si l'on ne savait que la presse débridée s'est toujours livrée chez nous à la même orgie de mensonges et de fureurs. La Tribune attaquait hommes et choses en
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roulant des veux farouches ou en Grimaçant une ironie \e- nimeuse; le Charivari et /a Caricature, Triboulets gros- siers, fouillaient de la plume ou du crayon la prétendue vie intime du roi et de sa famille, les montrant sous des for- mes grotesques ou odieuses; la propagande des brochure- recommençait, insufflant son poison à la masse ignorante; tout indiquait que le démon révolutionnaire s'était remis en haleine et faisait ses préparatifs pour une nouvelle cam- pagne.
Effectivement, nous sommes au moment de la création de* Droits de l'homme.
Cette société célèbre semblait, tant par son organisation et son nombre, que par son personnel et son audace, devoir broyer la royauté au premier effort; mais c'est là qu'on peut voir l'impuissance radicale des sociétés secrètes devant un pouvoir vigilant et résolu.
Les Droits de l'homme, comme on le verra, aboutissent aux affaires d'avril 1834, Une échaufluurée qu'on peut appeler ridicule, si on la compare au grand bruit que fait la conspi- ration avant d'éclater; c'est en même temps la dernière grande convulsion du monstre révolutionnaire.
Franchissons quatorze années, et arrivons en 1848; nous voyons une similitude de faits étonnante : d'abord la révo- lution, encore dans toute son effervescence, livre la bataille sanglante de juin qui correspond à celle de juin 1832; bien- tôt la démagogie, qui attribue sa défaite à l'absence de di- rection, se remet à l'œuvre cherchant à lier dans un grand faisceau, à assouplir à une forte discipline, tous les éléments du parti; un beau jour, ce travail est fait, ou à peu près; l'impatience populaire poursuit les chefs, on décrète la prise d'armes et on aboutit au 13 juin I8i9, digne pendant du \ mai IBili. A partir deee moment, la dté respire; d'abord,
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|>arce que la lièvre ànarchique tombe peu à peu d'elle- même, mais surtout parce que le gouvernement a placé Tordre sous la sauve-garde de lois sévères et qu'il se sent désormais, non seulement le droit, mais le devoir de frapper la démagogie au cœur.
Répétons-le jusqu'à satiété, nos révolutions ne sont que des accidents, des coups de main criminels, des vols à maiiî- arrnée du pouvoir; la masse crédule ou craintive a beau les acclamer le lendemain, elle ne fait que se ployer à la loi du plus fort, ou que céder à un pitoyable entraînement. Donc il faut, à tout prix, cinpêcber les insurrections. Sans doute, le premier moyen est de mettre le gouvernement d'accord avec l'idée générale de la nation; on a grand tort, dans un pays aussi irritable que le nôtre, aussi vieux déjà dans la liberté, de suivre le système des princes du Nord, qui con- siste à étouffer l'opinion, au lieu d'adopter le procédé an- glais qui fait céder le gouvernement à toute exigence raison- nable; mais comme celte harmonie du pouvoir et de la majorité des citoyens n'a jamais empêché les révolution- naires de faire leur métier, et que même plus elle est grande, plus leur influence est petite et leur fureur ardente, il est indispensable que désormais l'autorité ait une énergie qui ne soit surpassée que par sa vigilance, et que l'arsenal des pis soit toujours assez fourni pour permettre une victorieuse riposte à toute attaque.
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CHAPITRE XII:
Formation «lu la so< :iëté îles Droits de l'Homme. — Noms des membres ilu Comité. — M. Millon, cocher-publicislc. - Ordres du jour. — Les forts détaches. — Complot. — Pourquoi il avorte. Procès. — Violence des accusés cf surtout de -M. Vignerte.
Déjà, du temps des Amis du Peuple, il y avait une sec- tion révolutionnaire qui s'appelait les Droits Je l'Homme: les républicains les plus sérieux s'y étaient réfugiés; cette fraction devint le novau de la grande association dont nous allons faire l'historique.
Vers la liu de 1832, les hommes les plus capables du parti, pour ne plus être traînes à la remorque des conspira- teurs secondaires, décidèrent de se mettre à la télé des Droits de /' Homme cl d'\ rattacher tous les révolutionnaires. Ils élaborèrent un plan d'organisation, qui fut adopté sur les bases suivantes : Vu comité composé de onze membres, appelés directeurs; sous les ordres des directeurs, douze commissaires, un par chaque arrond^sement; puis, qua- rante-huit commissaires de quartiers, subordonnés aux com- missaires d'arrondissement. Les commissaires de quartiers étaient chargés de loi nier des sections composées d'un chef, d'un sous-cbef, de trois quinlurions el de vingt membres au plus, (le chiffre de vingt membres était fixé pour éluder la loi; dans le même but, chaque section devait porter un nom di lièrent. A la rigueur, on pouvait admettre que c'était au- tant de sociétés différentes, se tenant par leur nombre dans les prescriptions du code.
Un certain nombre de sections fuient immédiatement
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organisées; elles nommèrent leurs chefs, puis ceux-ci furent invités à élire les directeurs. Le scrutin donna la majorité aux personnages suivants, qui furent proclamés membres du comité : MM. Audrv de Puvraveau, Vover-d'Anrenson, députés; Kersausie, G. Cavaignac, Guinard, N. Lebon, Berryer-Fontaine, J.-J. Vignerte, Desjardin, Titot et Beau- mont.
Dirigée par ces hommes, dont les uns avaient une posi- tion sociale élevée, les autres une grande intelligence, tous du zèle ou de l'activité, l'association prit un développement rapide. La police avait alors deux hommes sûrs, MM. Gis- •juet et Carlier, qui éventèrent promptement la conspiration et la dénoncèrent au parquet; mais il leur fut répondu que la magistrature n'y pouvait rien, les sectionnaires étant en règle; la police en fut réduite à suivre passivement les pro- grès de l'association.
On croira facilement que cette tolérance fut mise à profit; des sections nouvelles se créaient tous les jours; trois moi? ne s'étaient pas écoulés, qu'on parlait déjà de l'année des Droits de l'Homme comme d'une chose formidable; on citait des chiures fort exagérés, mais que les chefs se gardaient bien de démentir, sachant qu'il n'est meilleur appeau que le grand nombre pour attirer les gens dans de pareilles en- treprises.
Au reste, on ne se gênait pas; la qualité de membre des Droits de l'Homme était avouée hautement; des républicains qui écrivaient aux journaux plaçaient fort tranquillement ce titre sous leur signature.
Bientôt le système des ordres du jour est adopté; on les imprime et on en remet un exemplaire a chaque chef de section, qui est chargé d'en donner lecture. Os pièces pa- raissent à intervalles réguliers, et les réunions dles-mcmes
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ne lardent pas a prendre le caractère de périodicité prévu par la loi. Alors seuleiient le parquet commence à s'émou- voir; certes il était temps. Ces écrits, lus avec une mysté- rieuse solennité, à des hommes ignorants ou fanatique, suintaient le poison dos doctrines communistes; on y bé- gayait déjà tous les lieux-communs nauséabonds delà langue démocratique sociale: l'exploitation de l'homme paiThomme, les vampires qui sucent la sueur des peuples, etc. Dans un des premiers ordres du jour, on montre comment la répu- blique doit assurer le bonheur de tous « sans excepter la « clique des fripons qui nagent dans l'opulence »; on leur promet de « les dépouiller des biens, des trésors qui leur « causent tant de soucis, qui les dégradent aux yeux du vrai « patriote, et de leur rendre, par la pauvreté, le bonheur « et les vertus de la fraternité. v
Le parquet paraissant enfin décidé à sévir, la police lui livra les premiers sectionnaires qui lui tombèrent sous la main; c'était un groupe ayant pour chefs le cocher Millon, l'avocat Petit-Jean et plusieurs autres patriotes qui furent traduits en justice.
M. Millon, cocher, était un bel esprit dont le patriotisme brillait beaucoup plus que le langage. Il confectionnait de belles œuvres qu'on lisait aux sections, et dans lesquelles se trouvaient des passages comme celui-ci : « C'est assez! le « flambeau de la liberté a dévoilé le repaire du crime. Plus « de roi ! le temps est venu où nous devons compter avec les « vils l'ainéanlsqui s'engraissent des produits de nos travaux, « et partager égale moitié du bien qu'ils nous ont volé. » On voit que M. Millon est un des précurseurs du célèbre gé- rant de la Banque du Peuple. Au reste, le cocher publiciste est bon prince, il demande seulement à partager par moitié; les socialistes modernes n'ont pas eu de peine a démontrer
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que c'est là un désintéressement inconsidéré. Du temps de M. Millon, on avait découvert aussi la profonde scéléra- tesse des classes moyennes, qui ont l'impudence de tenir à l'ordre, parce que l'ordre les fait travailler et que le travail les fait vivre; aussi le cocher leur décroche-t-il un coup de fouet violent : « Il faut poursuivre tons les débris de cette « menue aristocratie qui s'est reformée sous la dénomina- « tion de bourgeoisie, et l'extirper jusque dans ses fonde- « ments. »
M. Millon et ses trois amis furent condamnés à 200 fr. d'amende, ce qui n'est pas exorbitant; mais, par le même arrêt, la société des Droits de l'Homme fut déclarée illicite et dissoute. Cette satisfaction, donnée à l'opinion publique après tant de scandales, ne fut aucunement du goût de la Tribune qui s'écria avec une suprême amertume : « Que ces « Messieurs ont soif de guerre civile! Ils peuvent être tran- « quilles, le jour de l'insurrection arrivera toujours trop tôt « pour eux; il ne faut qu'une heure pour leur faire regret- ce ter leurs imprudentes paroles; elle sonnera! » Le journa- liste rouge cherchait à faire un peu de terreur, mais mal- heureusement l'autorité, dans son ensemble au moins, ne tremblait guères à de pareilles menaces.
La feuille de MM. Marrast et Sarrut avait bien tort, au reste, de prendre souci; les républicains n'avaient-ils pas assez d'imagination et d'audace pour éluder la loi et se mo- quer d'elle, surtout quand ils savaient la magistrature gé- néralement si circonspecte? Une chose certaine c'est que la dissolution prononcée par les tribunaux fut vaine et que la propagande ne s'arrêta pas un instant. Les orateurs popu- laires continuèrent leurs déclamations; les brochures s'écou- lèrent par charretées à Paris et en province; les commis- voyageurs poursuivirent leurs pérégrinations patriotiques;
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bref, la démagogie poussa aussi activement que jamais son siège contre la société.
Ainsi qu'il était convenu, chaque section prenait un nom différent; on se doute bien que ces noms étaient en rapport avec l'œuvre. Dans la liste des désignations, nous remar- quons les suivantes: la section Robespierre, les Montagnarde, Mort aux Tyrans, la Gamelle, Mural, les Gueux, Babeuf. les Truands, Louve! , le Tocsin, le Bonnet phrygien, ['Abo- lition delà Propriété mal acquise, Coulhon, Lebas, Saint- Just, le Niveau, le Ça ira, Y Insurrection de Lyon, le Yingl- et-un Janvier, la Guerre aux Châteaux, etc.
On était aux approches des o et G juin, anniversaire que les Droits de l'Homme crurent devoir célébrer, comme suc- cesseurs des Amis du Peuple. A cet effet, un ordre du jour fut lu dans les groupes. Cette pièce, dont nous donnons la principale partie, émanait du comité des onze et fait connaî- tre le ton, les vues et les espérances de la faction.
« Citoyens,
« L'anniversaire des o et 0 juin ne nous demande pas de « vaines douleurs; les cyprès de la liberté veulent être ar- « rosés avec du sang et non pas avec des larme-. Voyez ! « combien de fois, depuis quarante ans la canaille aristocra- te tique n'a-t-elle pas battu des mains à la chute des plus « nobles tètes! combien de fois n'a-l-on pas annoncé que le h génie révolutionnaire était écrasé, et pourtant toujours, « toujours nous l'avons vu se relever plus foi t et plus lerri- « ble. Pour un frère qu'on nous tue, il nous en Aient dix, « cl le pavé de nos rues imbibé de carnage, fume au soleil
d'été l'insurrection et la mort! Rappelez-vous ces jours qui « ont suivi le combat de Saint-Méry; nous étions disper- sa »l le gouvernement nous menaçait de toutes les per-
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« séditions de sa lâcheté victorieuse; qu'avions-nous pour « nous défendre ? Rien que notre force morale et la sainteté « de nos principes. Eh bien! le gouvernement n'a pas osé « agir; il a hésité, non pas par générosité, mais par lâcheté. >i
Arrêtons -nous un instant sur cette fin, où le mol de lâ- cheté est prodigué si lihéralement. 11 est hon de voir quelle reconnaissance les républicains portaient à la magistrature si réservée à leur égard, et au gouvernement qui n'avait pas su profiter de sa victoire. On les avait ménagés, on n'avait pas demandé aux Chambres d'armer l'autorité contre eux; ce qu'ils en infèrent, ce n'est pas que le gouvernement de Juillet est généreux et pousse à l'excès le respect de la liberté, c'est tout simplement qu'il est lâche. Eh! Messieurs, vous aviez donc bien peu de cœur vous-mêmes pour que ce gouvernement si lâche vous ait vaincus!
Poursuivons : a Maintenant, qu'il fasse ce qu'il voudra, « la République a pris racine en France, et toutes les forces « de nos aristocrates de bas étage ne suffiront pas à l'ébran- « 1er. 11 y a un an elle a été vaincue, aujourd'hui elle est plus a puissante qu'avant le combat, car elle a acquis la force « d'unité et de discipline qui lui manquait. Le gouverne- ce ment ne tend qu'à renfermer et resserrer les existences <c dans les limites que leur ont assignées les hasards ou les « infamies de notre organisation sociale; aux unsla richesse, « aux autres la misère; aux uns le bonheur oisif, aux autres « la faim, le froid et la mort à l'hôpital! Les larmes ne sont « pas pour nous, elles sont pour nos ennemis; car, après leur « mort, il ne subsistera plus rien d'eux, qu'un souvenir de « malédiction. Bientôt le bras du souverain s'appesantira u terrible sur leur front; alors, qu'ils n'espèrent ni grâce ni a pardon! Quand le peuple frappe, il n'est ni timide ni gé- « néreux, parce qu'il frappe non pas dans son intérêt, mais
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a dans celui de l'éternelle morale, et qu'il sait bien que per- « sonne n'a le droit de faire grâce en son nom.
« Salut et fraternité. »
Ceci est d'une autre force ot d'une autre importance que les excroissances littéraires de M. Millon; c'est pensé par un révolutionnaire qui connaît son métier, et rédigé par un homme qui sait tenir la plume. Ceux qui connaissent la manière de M. G. Cavaignac, prétendent que c'est là sa fougue sombre et sa touche énergique; le fils du conven- tionnel vivait, à cette époque, dans un milieu assez désor- donné pour laisser croire qu'il a pu rédiger cette pièce; toute- fois, certaines idées d'égalité absolue qui percent dans un endroit, et les menaces sanglantes qui flamboient dans un autre, si elles ont pu se trouver au bout de sa plume, n'é- taient pas dans son cœur. En tous cas, ce n'est pas le ré- dacteur qu'il faut voir ici, c'est le chef de démagogues qui parle à ses hommes le langage qu'ils comprennent et qu'ils attendent. Cet ordre du jour montre à quel degré la tète des sectionnaires était montée six mois après la création de la société, et combien il serait difficile de tenir long-temps de pareils hommes sous la discipline. Avec des excitations de ce genre, il faut que les chefs soient décidés à conduire prochai- nement leurs hommes dans la rue, s'ils ne veulent pas qu'ils y descendent sans eux.
Vers le mois de juillet 1833, la question des forts détachés tomba dans la presse, comme une roche dans une llaque d'eau, et y produisit un large rejaillissement. Chaque jour- naliste se transforma en stratégicien consommé, prouvant que les ouvrages de guerre proposés, inutiles pour la défense intérieure, ne pouvaient avoir pour but que la ruine do Paris. On ajournait les incrédules au premier mouvement
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populaire. Nous avons vu comment ces prédictions se sont réalisées : depuis la construction des forls, deux batailles ont eu lieu dans la capitale, et aucun des deux partis n'a seule- ment eu l'idée de s'en servir.
C'était là un prétexte comme il en faut aux oppositions; les braves gens qui s'époumonaient à crier contre les forts, jouaient leur rôle ordinaire : ou ils ne savaient ce qu'ils di- saient, ou ils disaient le contraire de ce qu'ils savaient; neuf fois sur dix, cela arrive aux docteurs du journalisme oppo- sant.
Quoi qu'il en soit, cette question passionna vivement les esprits; la clabauderie devint assez générale, pour que les boute-en-train des Droits de V Homme y en quête d'un pré- texte, crussent avoir trouvé leur affaire. L'anniversaire des journées de Juillet était proche; le roi devait passer une revue, des cris contre les forts s'élèveraient de toutes parts, tant des rangs de la milice que de la foule; une collision éclaterait, soit d'elle-même, soit au moyen de préparatifs habilement combinés, et les sections, profitant du désordre, feraient une irruption armée dans Paris. Tel est le plan qui fut conçu, non pas précisément par le comité, dont les principaux membres ne trouvaient pas l'heure venue, mais par un noyau d'impatients à la tête desquels étaient MM. Kersausie, Barbes, Sobrier, etc. La queue emportait la tête, comme d'habitude. Les Onze, n'osant pas s'opposer ouvertement à la tentative, laissèrent libre cours aux pré- paratifs, espérant que la réllcxion, ou quelque incident, ar- rêterait l'explosion. C'est ainsi que des hommes, respecta- bles à de certains points de vue, ont le tort de s'allier à des fous qui leur font porter la responsabilité de leurs sottises. M. G. Cavaignac eut ce destin toute sa vie.
Les meneurs se mirent l\ l'œuvre, Comme on n'était pas
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certain des sentiments anti-fortifieationnistes de la garde nationale, on imagina de faire inscrire un grand nombre de républicains dans les compagnies commandées par des pa- triotes, afin de rendre les cris imposants, au moins en de certains endroits. Ces clameurs organisées devaient figurer l'expression éclatante des sentiments delà bourgeoisie. Lis étudiants, grands amateurs de bruit, promirent, de leur côté, une collection de voix vigoureuses. Toutes les autres mesures d'usage furent prises : on affirma aux sections que les frères de province avaient le mot et devaient accourir sur Paris; la propagandedes imprimés et des journaux lit rage; on eut soin d'appuyer sur les histoires de patriotes torturés, assommés, pourissant sur \n paille humide; bref, on tourna avec vigueur cette vieille mécanique à l'aide de laquelle on monte la tète des simples ou des ambitieux.
En même temps, il fut ordonné de tenir prêtes les armes et les munitions. Ce dernier point, bien entendu, n'empê- chait pas les journaux de présenter la manifestation comme très pacifique. Le fait est que beaucoup de manifestations pareilles restent pacifiques, ou à peu près, grâce au pouvoir qui prend ses mesures. En soutenant la parfaite innocence de sesamis, la Tribune, dont les rédacteurs avaient la haute main sur les Droits de l'Homme, mentait avec son impu- dence ordinaire; quant aux feuilles de simple opposition, elles croyaient pouvoir affirmer solennellement et en toute loyauté, un fait dont elles n'avaient pas la moindre connais- sance; c'est leur habitude.
En toute circonstance pareille, le Paris éireutier tourne les yeux vers sa sœur de désordres, la capitale du Midi; répon- dant à cette sollicitude, la Tribune annonça que la situation de Lyon était des meilleures : les ouvriers meurent de faim, dit-elle, et sont prêts à se lever; tout marche à merveille.
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Le 24 juillet, ordre du jour au sujet de la manifestation. Le langage du comité est plein de confiance et d'une sorte de fatuité révolutionnaire. Il promet qu'après la victoire justice rigoureuse serait faite à chacun. Ces paroles et d'au- tres d'un ordre du jour précédent, ne tombent pas, comme on le voit, dans la naïveté de la philanthropie; on ne parle pas alors de l'abolition de la peine de mort. C'est là, certes! un des côtés les plus odieux de la tactique des chefs; ils sa- vent que certaines vengeances, excitées par l'envie, sou- rient à la masse grossière, et ils n'ont pas honte de faire appel à ces détestables passions.
L'ordre du 24 juillet prescrit la permanence pendant les trois jours commémoratifs; les sections sont averties d'être à leur place de bataille et d'attendre les instructions du co- mité. Un écrit est répandu, dans le même moment, parmi les troupes; on leur promet l'élection des officiers; de la gloire, de l'honneur; plus de passe-droits, de consignes avi- lissantes; des généraux de vingt ans et la guerre générale!
Ces dispositions étaient assez complètes, mais deux causes vinrent arrêter leur effet : d'abord l'intervention de la po- lice qui, sachant fort bien où trouver les sections, prévint leur attaque, en cernant et enlevant toutes celles qu'elle trouva; puis l'absence du prétexte même qu'on avait choisi. La manifestation devait éclater aux cris de la garde natio- nale contre les forts; justement il n'y eut pas de cris. L'im- mense majorité des gardes nationaux parut même si déci- dément suspecte aux patriotes, que les frères entrés dans les rangs par contrebande n'osèrent desserrer les dents. C'était un échec pitoyable; aussi s'e;npressa-t-on de donner le change. Un nouvel ordre du jour fut griffonné et jeté à la hâte dans les sections; il portait en substance que le co- mité n'avait ordonné la permanence que pour éprouver la
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discipline des patriotes; que le résultat avait répondu à ses espérances, et qu'il offrait ses sincères félicitations aux membres de la société.
La police avait fait de la prévention; en raison de cette prévention même et de la sagesse de la bourgeoisie, la cons- piration ayant avorté, les feuilles démagogiques, et surtout la Tribune, qui avait les deux pieds dans l'affaire, se récriè- rent avec violence : la tyrannie était intolérable; on arrêtait arbitrairement des citoxens; la police était au-dessus de la loi; on traitait la France à la cosaque; que sais-je? Pauvre police! quoiqu'elle fasse, ses torts sont tout formulés d'a- vance. Empècbe-t-elle le complot, le complot n'existait pas; le saisit-elle en pleine exécution, c'est elle qui l'a préparé. Les feuilles factieuses ne sortent pas de ces deux conclu- sions, et les journaux de couleur intermédiaire les appuient sottement. Des conspirateurs sont pris la main dans le sac, ils jurent leurs grands dieux qu'ils sont innocents; rien de plus simple; leurs amis de la presse transcrivent la protes- tation en gros caractère, c'est bien le moins après avoir ins- piré les coupables. Mais on se demande quel intérêt peut avoir l'opposition sérieuse à reprendre ces lamentations im- pudentes? Elle entend un démagogue vociférer, elle ignore les faits, et, entre cet homme, coulumier du désordre, qui se pose en martyr sur le code Pénal, et la police, chargée d'un devoir délicat et rigide; toute sa sympathie est pour l'anarchiste! En vérité, nous sommes un peuple pitoyable. Au lieu de respecter l'autorité dans son grand caractère de protection générale, nous nous amusons à l'éplucher constamment dans son rôle ingral de répression, à lui lier les bras, à la rendre odieuse. Aussi, voyez le résultat : dans (t'attires pays il \ a une société; en France nous avons des socialistes.
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Plus de cent membres des Droits de l'Homme fuient com- promis dans cette affaire; les principaux étaient MM. Ker- sausie, Raspail, Noël Parfait, Latrade, Kaylns, Langlois, Chavot. Ce dernier se retrouvera plus loin dans ce récit, au sujet d'une tentative d'assassinat.
Parmi leurs moyens de propagande, les républicains ont toujours mis les procès en première ligne. Dans l'affaire en question, l'audace des accuses, jointe à la réputation agres- sive des avocats, promettait un beau contingent de scandale; l'attente des amateurs ne fut pas trompée. M. Raspail prit la parole pour dénoncer l'abomination de la police.